Oyun regarde le ciel un bref instant, semblant trouver des réponses sur le meilleur chemin à suivre dans le ciel au blanc aveuglant, parsemé de nuages plus ou moins sombres d'Est en Ouest. Habituée aux expéditions dans les Terres du Nord, elle sait, comme tous les habitués des steppes et des montagnes, qu'il ne faut jamais considérer sa sécurité en ce lieu comme acquise. Le vent lui fouette le visage, et les sabots de sa monture s'enfoncent péniblement dans la boue, brisant le verglas à chaque pas sous le poids de sa cavalière et des charges disposées sur ses flancs. Dépêchée aux côtés d'une escouade d'Ingénieurs, elle avait pour mission d'encadrer un ravitaillement d'urgence destiné à une garnison dans la montagne, affaiblie par de récentes attaques de la faune locale. Une janissaire réputée pour son expertise du terrain avait également été mobilisée dans le même but. En travaillant ensemble, ils auraient une chance d'atteindre leur destination en limitant les pertes, et à temps pour refaire les réserves de la garnison accidentée.

Seule une variable restante pouvait leur poser problème : le tempérament capricieux du climat hivernal du Nord de l'Empire était capable de les piéger à tout moment, peu importe l'exactitude de leurs calculs pour assurer leur trajectoire. Unique aéromancienne sur place, l'orc faisait des rapports réguliers sur la force et la direction des vents qui convergeaient sur leur convoi - certains Ingénieurs semblaient juger ces informations importantes, bien qu'elle-même ne comprenne pas vraiment ce qu'ils en faisaient.

Le deuxième jour, un soldat envoyé en éclaireur sur le flanc d'un mont enneigé est pris dans une avalanche. Ils n'ont pas le temps d'aller vérifier s'il est vivant ou mort, ni de faire un détour pour récupérer son corps. Tous ne peuvent qu'imaginer sa mort alors qu'une plaque de neige dévale les pentes de la montagnes au loin, et l'orc ordonne une minute de silence une fois le tumulte passé. Sa famille sera contactée lorsqu'ils arriveront à l'avant-poste.

La troisième nuit, le temps se gâte. Ceux qui tiennent la garde ont du mal à supporter le vent glacial qui leur fouette le visage, malgré leur entraînement et l'épaisseur de leurs gambisons. Au lever du quatrième soleil, l'escouade décide de changer son itinéraire pour traverser la prochaine zone plus rapidement, espérant prendre de vitesse la tempête de neige qui se profile. La fatigue n'empêche pas les Reikois d'être efficaces, et si les Astres, ou quelconque divinité pertinente, avaient été en leur faveur, peut-être y seraient-ils arrivés. Mais la réalité est cruelle.

La violence des vents chatouille les montagnes, et la moitié de leur escouade est piégée dans un éboulement. Oyun avait pu invoquer leurs cargaisons à temps pour les récupérer, mais son pouvoir ne fonctionnait que sur les objets - pas les êtres vivants. Ni leurs cadavres broyés par les pierres, d'ailleurs. La Serre Pourpre n'a pas besoin de donner l'ordre de silence pour que les morts soient honorés, cette fois. Personne n'est d'humeur à parler, ni ne pourrait s'entendre à travers le blizzard.

Leur problème logistique ne faisait qu'empirer : ils n'étaient plus que quatre, et pouvaient certes avancer plus vite… mais ils ne s'en retrouvaient que plus chargés. Et si l'orc avait une carte dans sa manche qui lui permettait de considérer légalement comme siens les provisions qu'ils déplaçaient, et donc de les invoquer, elle était soumise à une limite de taille et de quantité proportionnelle à son mana. Néanmoins, elle décide d'ordonner à la janissaire et à un des ingénieurs restants d'alléger leurs charges, afin que les deux soldats les plus légers conservent leur mobilité.

Le crépuscule assombrit le ciel blanc, et les deux spécialistes des terrains montagneux savent, chacune sensible à des signaux différents, que la tempête arrive. Le petit groupe presse le pas, tandis qu'Oyun cherche un creux dans la roche, une grotte, une taverne d'ours, n'importe quoi pouvant leur permettre de se mettre à l'abri pour la nuit, aidée par sa vision augmentée. Lorsqu'elle repère enfin une crevasse, sa voix tonne dans le blizzard :

- Laissez les montures, récupérez vos charges et courez à onze heures !

La janissaire arrive à l'entrée de la caverne en premier, suivie de peu par la Serre chargée comme un baudet. Oyun dépose les sacs qu'elle transporte grossièrement sur le sol de pierre avant de se retourner pour situer les deux ingénieurs. Malheur ! Celui qui était le plus chargé a trébuché, et l'autre s'est retourné pour lui tendre la main. L'orc analyse ses options et tranche rapidement. Bien sûr, elle pourrait ressortir et utiliser un bouclier aérien pour venir en aide aux deux soldats ralentis, mais ce serait prendre le risque d'y rester avec eux, au détriment de son assignation. Elle se contente plutôt d'invoquer tour à tour les sacs qu'ils transportent. Dans le meilleur des cas, le fait d'être allégés leur permettra de rejoindre l'abri in extremis. Et dans le pire…

Elles feront une minute de silence.

CENDRES