Une toux compulsive résonne et se mue en gargarismes gutturaux.

Sang vicié, cœur pourri, remugles pestilentiels et bruissements de chair malmenée par des gaz innommables que retiennent prisonniers une carcasse trop étroite pour eux, une cacophonie accompagnant la bête dans ses nauséabondes pérégrinations. L'armure dévorée par la rouille du héraut de l'abject s'anime au rythme de son avancée désordonnée, constellant ses pas lourds d'un fracas diabolique.

Sous une capuche de toile déchiquetée, semblable à un sac de vivres éventré, le paladin erre en foulant de ses sabots biscornus le sol boueux d'une terre désolée. Il est énorme, s'imposant au milieu de rien comme un colossal épouvantail qu'harcèlent sans repos des mouches carnassières. Le guerrier profanateur est une ruine, marchant sur d'autres ruines, il est le porteur d'un message aussi fondamentalement funeste que sa trogne bestiale le laisse présager.

N'ayant de Sublime que le nom, l'atroce chevalier est une aberration et incarne à lui seul la misère d'un monde que les Dieux s'évertuent à anéantir. Une tête de ruminant aux crocs trop singulièrement affutés, une silhouette de satyre gigantesque et un parfum de charogne pour parfaire le tableau; les manants disent de lui que sa nature perverse l'a affublé d'un faciès pensé pour déplaire. Yeux trop écartés, pelage hirsute et cornes démesurées, il arbore avec honte une paire de pupilles oscillant entre un vert toxique ainsi qu'un jaune nauséeux, fendus et couchés à l'horizontal, éternelles symboles de péché de démente luxure qui a occasionné sa maudite conception. Son corps blasphématoire est sourd à la douleur, ce qui lui permet de pousser toujours plus loin la portée des vices qu'il s'inflige pour sanctifier les siens, ce par la destruction de sa propre individualité.

Sublime se méprise plus que quiconque et abhorre sa genèse au point de vouer une haine inconditionnelle envers ses propres semblables. Ceux qui partagent ses croyances le considèrent pour la plupart comme un être qui n'a de valeur qu'en tant que bête sacrifiable, conçue pour mourir face contre terre lorsqu'elle aura accompli les desseins des Dieux. Il n'est qu'un martyr, un monceau de chair plus utile en vie que mort et il le sait pertinemment. Portant sa croix avec toute la ferveur d'un adorateur des titanides, il use de son organisme comme perpétuel sacrifice afin d'expier le péché qu'est sa chair, faisant de son enveloppe malade un terreau fertile pour les dons du Monstre. Son corps n'est pas un temple, il n'est qu'un cloaque purulent dans lequel pathogènes voraces et bactéries croqueuses de viande dansent la gigue en un bacchanale sans fin.

N'ayant d'amour que pour Puantrus lui-même, il conchie la pureté, la bienséance et les valeurs aliénées des civilisations grouillantes. Horreur parmi les immondices, Sublime est le premier symptôme d'un mal que l'on renie et qui, toujours, finit par revenir à la charge.

"Sublime. Tu es sublime."

Le chevalier noir glisse sous le crâne difforme de l'enfant chimérique une main ensanglantée. Les pleurs de la marmaille se muent parfois en singuliers bêlements et elle se débat faiblement dans les bras de celui qui la soulève de terre pour la ramener contre son épais plastron.

Pour la toute première fois, ce monstre, cette injure pour l'œil, découvre ce que signifient douceur et affection. Bercé contre l'armure de celui qui est venu à sa rescousse, le bestial bambin continue à hurler tandis que s'écoulent sur ses joues noires de crasse une coulée de larmes salées. Son porteur ne s'offusque pas de ses jérémiades et se contente d'enjamber la paille, les déjections ainsi que les dépouilles des paysans éventrés.

C'est un raid, un assaut mené contre une bourgade shoumeïenne supposément protégée contre les folies des plus zélés. Les flammes purificatrices qu'accompagnent usuellement ces attaques sauvages sont pourtant absentes. Il n'y a ici nul crépitement, point de cendre volant au vent et pas l'ombre d'un nuage de fumée. L'anéantissement du village s'opère tout autrement.

Un héraut se sépare du groupe de cultistes ayant pris les armes et joint ses mains sur le manche d'un sceptre orné de breloques sanguinolentes. Proférant des mots pour lesquels bien des langues ont été arrachés, il récite avec ferveur une prière, une ode faite au Monstre et aux immondices qu'il répand sur le Sekaï.

Une immense et poussiéreuse volute vient envelopper la roche maudite qui surmonte le bâton du sorcier. Dans une détonation à peine audible, la concentration de magie obscure s'étend pour former un voile vaporeux puis se mue en une brume verdâtre qui vient lentement recouvrir chaque bâtisse et chaque maisonnée pour enfin engloutir le village de Gardeloin tout en lui offrant la promesse du plus insidieux et abject des dons.

Béats d'admiration, de nombreux guerriers s'accumulent autour du vieux mage, s'assurant en le soutenant sous les aisselles qu'il parvienne à garder l'équilibre malgré l'effort conséquent qu'il vient de déployer. L'ancêtre relève sa capuche et dévoile alors l'atrocité de sa condition à la vue de ses suivants. Pourrie jusqu'à l'os, sa chair déconfite pend lamentablement sur son faciès boursouflé et plus ridé encore qu'une pomme trop mûre. Il reste néanmoins sous cet amas de chair un œil injecté d'un liquide gras que l'on apparente difficilement à du sang, mais pourtant fonctionnel.

Le globe unique pose son regard vitreux sur le jeune hybride que lui montre l'un des paladins déments. Les larmes cessent de pleuvoir, les cris se meurent et les hérauts du mal découvrent non sans un certain agrément que le petit monstre aux sabots tordus semble s'amuser avec la brume caustique, essayant sans succès à grapiller quelques grains de ce poison qui vole au vent. Haussant un sourcil, l'ensorceleur marmonne :

"Qu'est-ce ?"

Le mastodonte qui berce encore la créature répond à son mentor par un chuchotement plein d'envie :

"Une splendide aberration. Un blasphème. Un sacrifice ?"

Il y a dans les yeux lupins du guerrier une lueur maligne. Le mage grabataire se rapproche de la petite bête et passe une main aux ongles démentiellement longs contre la joue du marmot monstrueux. Caressant d'abord ses oreilles effilées puis ses cornes recourbées, il semble hésiter sur la marche à suivre.

Désormais souriant, le petit être tend une main velue vers l'ouest et tous suivent des yeux ce qu'il veut leur montrer. Ce n'est rien de plus qu'un charnier, un amas de cadavres parmi lesquels se trouvent encore quelques malheureux survivants qui croient pouvoir se faire passer pour morts en se mêlant aux dépouilles encore tièdes de leurs voisins. Loin de savoir qu'ils s'infligent en respirant les vapeurs un sort bien plus sinistre que celui de ceux qui sont tombés sous les lames, ils se taisent.

Le sorcier mire longuement la pile, puis tente de capter l'attention du bambin aux pupilles plates. Après avoir soutenu quelques instants le regard jovial du plus innocent des survivants du carnage, il annonce :

"Nous l'emmenons."

Pas l'ombre d'une contestation. Les hérauts de Puantrus écoutent toujours les apôtres. Comme elle est venue, la vague d'engeances semant sur sa route mort, peste et désolation s'éloigne du village, n'emportant avec elle comme trophées du massacre que ce minuscule cadeau qui sera nommé, au lendemain matin, Sublime.








"Arrière, monstre !"

La Guerre est là, le bétail s'affole. Le guerrier saint pousse un bêlement tonitruant et suffisamment puissant pour faire vibrer les vitres fracturées de l'humble château du bourgmestre. Les miliciens s'amoncellent autour de l'homme qu'ils s'évertuent à protéger mais leurs corps si imparfaits ne font que les trahir. Les nez coulent, la sueur tombe, les genoux tremblent et les mâchoires se contractent.

L'hybride effroyable tire à son fourreau une épée gigantesque dont la lame terriblement viciée porte encore les marques de son dernier carnage. Sa gueule déformée s'ouvre et dans un horrible gargouillement, elle rejette une coulée gluante dont le parfum pestilentiel vient embaumer à lui seul l'entièreté de la salle.

Le liquide profane recouvre vite la claymore, imprégnant le corps comme le fil de l'arme et transformant l'effroi d'une mort prochaine en un dégoût si surréaliste qu'il en devient paralysant. Les rangs des défenseurs se resserrent, les Hommes cherchant naturellement le soutien de leurs pairs face à ce qu'ils ne peuvent pas comprendre. La chose sourit après avoir craché sur le sol lustré un épais glaviot caustique.

Sa voix grasse et sombre s'élève, révélant par sa simple existence une terreur nouvelle. Si ce diable cornu est doué de parole, il n'a sans doute pas la décence d'avoir la pure sauvagerie des bêtes. Il a l'intellect et, par conséquent, la cruauté de l'humain.

"La peste est notre don le plus précieux. Elle une bénédiction de la terre qui se repaît des corps des défunts pour alimenter notre Maître. Chaque pustule, chaque fièvre, chaque souffle arraché par la toux est un hymne à notre puissance. Portez vous aussi, infidèles, les germes du Nouveau Monde."

Il empoigne le manche de son arme suintante et laisse gouter sur son monstrueux faciès quelques morceaux de ce liquide empoisonné qui charrie en son sein la marque du faiseur de maladies. Rugissant jusqu'à s'époumoner, le paladin conclut son discours fiévreux :

"Que chaque fleur flétrie, chaque ruisseau empoisonné, chaque grain de poussière constitue un hôte pour notre malédiction. Que la terre elle-même se mette à pourrir sous nos pieds et que les corps de vos femmes et de vos progénitures nourrissent nos vers. Nous vous apporterons un mal si vorace que même l'idée de ce qu'est la vie en sera contaminée."

Le couperet porteur de fléaux s'abat, les gardes s'enfuient et abandonnent les armes mais pourtant; les têtes tombent. Que chacun se souvienne de cette nuit, où le vent de la peste a commencé à souffler et où la maladie s'est levée comme un soleil noir pour engloutir tout espoir.
Il est Sublime, messager de la débauche et héraut de la virulence.

Divinisme