Une seconde rencontre avec une bonne excuse

Je vois mon invité choisir un livre et je lui réponds en souriant :

Bien sûr, tu me le rendras quand tu voudras.

Je lui verse ensuite un verre de thé au jasmin et j’en prends également, lui proposant de trinquer :

À nous.

Inutile d’ajouter quelque chose de plus, tout est dit dans ces deux mots. Elle me raconte ensuite ses trois inspirations et j’aurais pu les deviner moi-même, tellement elles collent à sa personnalité. Elle me pose ensuite une question sur ma propre vision de l’amour et je lui, en toute honnêteté :

Je n’en avais strictement aucune, car celle de mes parents étaient compliqués. Dans la famille Reys, celle de mon père, tout le monde était persuadée qu’il s’agissait d’un mariage d'amour, car Mère appartient à une grande famille et il n’y a pas eu de dot, alors pour qu’elle autre raison aurait-elle épousé mon père ? Mais d’un autre côté, je n’ai jamais vu de geste d’affection entre les deux. Mon paternel était très souvent sur les routes et travaillait beaucoup. Mère, de son côté, sortait avec ses amis, aidait sa famille, ce qui indiquait qu’elle soutenait sa décision. Bref, c’était une relation assez froide, et même si je pense que mon père appréciait beaucoup ma mère, ce n’était pas réciproque. Je suis né peu de temps après leur mariage et avec des cheveux blancs, ce qui n’est pas commun.

Je me rappelle ensuite d’une anecdote et je lui annonce :

Elle n’a pas pleuré à la mort de père et elle a toujours refusé de me dire ce qui s’est passé ce jour-là. Je sais juste qu’il a été tué devant la grille de la demeure familiale, en se défendant contre une bande d'assassin. J’ai enquêté depuis que je suis ministre sur sa mort et une des théories les plus farfelues que j’ai entendu, c’est que mère portait un enfant Vosdraak, autrement moi. Ce qui expliquerait pourquoi mon père m’a envoyé travailler en dehors du Reike, pendant la guerre civile.

Je reprends une gorgée de thé, qui est excellent d’ailleurs et je termine :

Bref, j’ai su ce qu’est l’amour, à l’âge de dix-sept ans seulement. Et l’amour véritable depuis que je t’ai rencontré.

Elle trinqua avec un sourire, puis prit le temps de savourer le thé, les yeux fermés. Puis, le plus simplement du monde, elle laissa échapper un commentaire :

- Tout simplement divin.

Puis il lui raconta la relation de ses parents... Une relation bien trop froide à son goût.

- J'espère bien qu'il n'en sera jamais de même pour nous. Si tu manques d'affection, n'hésite jamais à venir me voir. Je t'offrirai tout l'amour dont tu pourrais rêver, c'est une promesse. Et je tiens toujours mes promesses.

C'était on ne pouvait plus vrai. Il n'y avait rien qu'elle haïssait plus que ceux qui faisaient des promesses sans les tenir. Une promesse était un engagement. Si elle n'était pas sûre de la tenir, elle ne la formulait pas. Ou promettait uniquement d'essayer, sans garantir de résultat. Mais dans ce cas précis, elle savait bien en être capable. Car ce qu'elle promettait, c'était également ce qu'elle désirait. Le rendre heureux. Elle n'avait besoin de rien d'autre.

Lorsqu'il conclut, elle lui prit doucement sa main libre, qui ne tenait pas sa tasse.

- Je te promets de ne pas te décevoir. Et de tenir cette promesse le plus longtemps possible. Tu as droit au bonheur, à présent. La vie t'a éprouvé, puis elle t'a placé sur mon chemin pour te féliciter d'avoir réussi à t'en sortir. À présent, tu n'as plus d'inquiétude à avoir.

Si leurs mains étaient libres, elle l'aurait enlacé. Au lieu de quoi, elle l'embrassa rapidement puis revint à sa place pour continuer à siroter sa boisson. Pourquoi passer leur temps à parler ? Ils pouvaient aussi simplement profiter de la présence l'un de l'autre, même dans le silence. Elle en était certaine, ce dernier n'aurait rien de gênant, bien au contraire.

Maria toujours aussi gentille, m’indique que si je manque d’affection, je pourrais toujours aller la voir et je lui réponds en souriant :

Fait attention, je pourrais abuser et t’imposer des câlins chaque minute.

Je suis à moitié sérieux dans ma déclaration, j’adore les câlins. Elle me prend ensuite la main et j’ai droit à une nouvelle belle déclaration. Je lui indique, avec une voix rendue peu sûre par l’émotion :

Ce que tu dis est très important pour moi. Je te promets de tout faire pour te rendre heureuse également.

Nous buvons ainsi notre thé en silence et je dois avouer que je me sens considérablement bien ainsi. Je pense que c’est tout ce que j’ai toujours voulu, avec une femme à mes côtés, que l’on puisse échanger, tout en buvant un bon thé, goûtant à la présence de l’autre. Je sais que nous pourrions passer des heures ainsi, nous racontant nos journées respectives, bref, le paradis. Et ce sera encore mieux quand nous aurons nos enfants, nous pourrons leur raconter des histoires, le soir, devant le feu de cheminée. Nos deux puis sept enfants nous écoutant sagement pendant que je leur raconte mes aventures, peut-être même des extraits de mon livre, quand celui-ci verra le jour comme je l’ai annoncé à la Griffe.

Nous passons ainsi un temps que je ne saurais définir, jusqu’à ce qu’Edgar, le majordome, un homme d’une cinquantaine d’années qui était présent à ma naissance frappe doucement à la porte et nous dise :

Je suis désolé de vous déranger, mais le concert va démarrer dans une heure.

Je regarde ainsi mon invité et je lui demande :

J’étais vraiment très bien ici, avec toi. Est-ce que tu es d’accord pour que je te raccompagne à ton auberge ? J’aimerais passer le plus de temps possible en ta compagnie. Je t’y attendrai pour te mener à la salle de concert.

Abuser ? Vraiment ? Elle rit :

- Il faudrait voir... J'ignore complètement jusqu'où tu devrais aller pour que je considère que tu en fais trop. Alors n'hésite vraiment pas. Ce qui te fait plaisir me fera plaisir également. Je ne souhaite que te voir sourire.

Lorsqu'il lui parla de nouveau, elle posa sa tasse pour venir se rapprocher de lui et lui murmurer :

- Ta simple présence me rend heureuse. Tu n'as rien de plus à faire que de rester là et te laisser aller à ton propre bonheur. Permets-toi un peu d'égoïsme si tu en as besoin.

Visiblement, il n'était pas nécessaire d'en dire plus. Elle récupéra donc sa tasse et sa chaise, pour profiter simplement du moment. Moment qui lui sembla bien trop court. Lorsqu'on annonça l'imminence du concert, elle sursauta. Déjà ?
Remerciant néanmoins le majordome pour l'information d'un signe de tête, elle se leva, prenant la main de son compagnon pour l'entraîner à sa suite alors qu'elle se hâtait vers l'extérieur.

- Bien sûr, accompagne-moi aussi loin que tu le désireras. Nous pourrons même nous retrouver après le concert, qu'en penses-tu ? Quoi qu'il en soit, je ne pense pas que j'aurais assez d'énergie pour rentrer aujourd'hui...

Elle le laissa interpréter cette dernière phrase comme il le voulait. Etait-ce la vérité ? Une simple excuse pour passer plus de temps avec lui ? Autre chose ? Elle ne le lui dirait jamais. À lui de définir sa propre explication.