Les descriptions qu’on lui avait faites de la grand cité immaculée de Shoumei n’avaient rien à envier à la réalité. D’immenses bâtiments à l’architecture fine et complexe, dont la pâleur éclatante dans la froide lumière matinale était difficile à supporter pour quelqu’un si peu d’heures de sommeil. Nuit difficile, une fois de plus, agitée peut-être. Mais là encore certains souvenirs semblaient manquer.  Enfin, quitte à être levée à l'aube, autant rentabiliser. Les autres Spectres menant aujourd’hui leur propres recherches de leur côté. Aussi, vêtue de son uniforme de limier noir et roi, c’est les sourcils froncés et les yeux plissés, cernés de noir, lui conférant un air vraisemblablement agacé que Dactyle pénétra dans l’une des illustres bibliothèques de Mael.

Là encore, elle n’était pas déçue, loin de là. Même submergée par une quantité gargantuesque de connaissances qui nécessiteraient plus de dix vies pour être assimilées. Si le retour des Titans au Sekai avait ébranlé le monde entier, et à juste titre, les croyances de Dactyle, ou plutôt son absence de croyance, avait également été mise à rude épreuve. Soulevant plus de questions que de réponses. Et quoi de mieux que de profiter de son passage à Mael, capitale du savoir de Shoumei, pour se lancer en quête de savoir. Même si elle ne s'attendait à rien de révolutionnaire. Si après déjà un an de guerre la clé de la victoire reposait dans l’un des livres de la Cité du savoir, quelqu’un l’aurait déjà trouvé ... Enfin, on ne sait jamais. Aussi, la Bête erre un instant dans les allées, livres de théologie diviniste, cosmologie du monde, afflictions et malédictions en tous genres.. musicologie. Non, elle n’avait pas le temps pour ça. Un sourire amère passa un bref instant sur ses traits. Elle aurait aimé venir ici, avant que le monde ne tombe en ruine bien sûr. Passant ses doigts sur l'ouvrage, elle s'autorisa un instant à imaginer que peut-être, après tout ça, elle pourrait revenir ici et en profiter au calme. Rien qu’un souhait naïf formulé dans le vide par un soldat qui en a déjà trop vu.


A présent chargée de sa pile de livres, Dactyle s’installa dans un recoin un peu plus obscur de la bibliothèque, ou elle se sera pas dérangée jusqu'à la fin d’après midi. Lorsque les nuages d’hiver vinrent voiler le soleil et plonger l’endroit dans la pénombre.  L’histoire de Shoumei était assommante, tout bonnement fascinante, mais assommante. Dactyle dont les yeux jaunes fatiguées semblaient luirent à la lumière des bougies rejeta la tête en arrière, l’arrête du nez entre ses doigts en soupirant. Elle n’avait pas vu le temps passer, et son attention commençait sérieusement à décliner. Peut être était il temps de changer de sujet. Son regard se porta sur l’ouvrage dédié aux malédictions et afflictions d’ordre magique et génétique. Qu’elle n’avait pas encore ouvert, officiellement car cela s’éloignait de son sujet de recherche. Encore une fausse excuse. Après tout, les titans n'étaient-il pas les créateurs de sa propre race ? Une œuvre de Xo’rath sans doutes. Elle frissonna à cette pensée quand certains.. souvenirs refirent surface. Et que la désagréable sensation d'être observée se fit de plus en plus présente.  J’ai besoin d’une pause. songea-t-elle exaspérée avant se relever brusquement.

Un sortilège pour étouffer les bruits ? Voilà qui n'était pas insensé pour la bibliothèque d’une nation de religieux. Mais visiblement pas suffisant pour rivaliser contre le spectre rouge, dont le sifflement invoque presque immédiatement un Chhhthht particulièrement véhément pour une invitation au silence. Réflexion qui la met légèrement mal à l'aise à l’idée de se faire remarquer de la sorte .. mais passons.


- Maudire les titans, rien qu’ça, voilà qui est ambitieux. Mais ça reste une piste, j’admets que mes connaissances en matière de malédiction sont limitées.

A part le fait d’être issue d’une race maudite par les titans bien sûr. Malheureusement, la malédiction qui lui était offerte par la génétique n’était pas vendue avec le manuel. Et encore moins avec un titre aussi glorieux que celui énoncé par son interlocuteur. Misère, qui avait pris cet ouvrage par curiosité, elle n’imaginait pas être surprise en possession d’un titre aussi ridicule. Elle n’avait cependant pas encore pris la peine de le lire. Un peu rebutée par le titre sans doute. Un peu gênée, elle se retourne vers la pile d’où elle dégage l’ouvrage, avant de le tendre au Spectre :


- Humrr si, justement le voilà. Je l’ai pris .. au cas où. je n’ai pas encore eu l’occasion de l'ouvrir, aussi je vous laisse ce privilège, en espérant que vous y trouviez votre compte. termine t’elle avec une pointe de sarcasme.

Les parchemins, logique. Le limier qu’elle y était n’y avait pas songé un seul instant. Et pour cause, au Razkaal tous les livres des plus triviaux aux plus sombres étaient parfaitement accessibles à tous. Privilèges de limiers sans doutes.. les mages noires ne se préoccupaient guère de la censure. A l’évidence ce n'était pas le cas des moines aux combiens nobles et vertueux de Mael. Dactyle pesta intérieurement. C’est la guerre bon sang ! A quoi bon encore se préoccuper de choses aussi futiles que la bienséance. Demander le libre accès à des livres dont les connaissances pouvaient potentiellement contenir de quoi contrer les titans était le stricte minimum. Enfin, l’impacte des Divinistes était naturellement bien plus flagrant à Shoumei qu’ailleurs

- J’y avais pas pensé…précisa t’elle amère. C’est une bonne piste, mais vous avez l’air plus familier des lieux que moi. Savez où trouver de tels parchemins ?

Interroge t’elle avec un sérieux qui lui est propre et dont la retenue contraste avec les gestes théâtraux du spectre rouge.

Si la magie des arcanes et autres magie de l’esprit étaient déjà plus dans son domaine de compétences, Dactyle était sceptique, et répondit catégorique :

- L'illusionnisme ? Non, la magie nécessaire pour tromper tous les sens est bien trop coûteuse. Tromper la senseur magique demande déjà une excellente maîtrise, et la moindre blessure rend les illusions plus instables encore…


En parlant d’illusionnisme… peut-être allait-elle devoir y avoir recours plus vite que prévu.
Elle doutait que se retrouver avec un loup garou de deux mètres dans les allées de leur précieuse bibliothèque, cathédrale du silence, soit du goût de ces moines irascibles…
Toute cette paperasse pour trois bouts de parchemins ?! Elle qui pensait les Républicains  parfois un peu trop procéduriers …En dépit de ses origines populaires, voire carrément criminelles, Dactyle avait depuis intégré sans bien des mœurs Républicaines. Notamment pour ce qui était de l’accès au savoir.


Enfin, si l’ennui semble faire plus que gagner le spectre rouge dont absolument tous les gestes trahissent une lassitude manifeste, Dactyle aussi, après une journée entière de lecture commence sérieusement à ressentir le besoin de décamper, et en vitesse.
Aussi, la déclaration d’Halewyn sonne comme une douce libération. Après tout pourquoi pas ?  La Bête serait bien restée étudier toute la nuit, comme elle l’avait déjà tant fait. Mais là c’était juste trop.  Elle se crispe à l’énième”” “ invitation”””  des moines à faire silence, scellant sa décision. Mieux valait qu’elle sorte, avant de leur faire bouffer un de leur fameux bouquin. Elle redresse d’un coup, décidée, les prunelles luisantes.

- Pourquoi pas, après tout. ça sert à rien de rester si on nous cache des informations… Qu’est ce que vous proposez ?

Dactyle prend néanmoins le temps, malgré son agacement, en bonne élève qu’elle  est, de replacer un par un tous les livres à leur place. Non mais, on est pas chez mémé non plus. Sa tâche accomplie, elle se tourne vers son acolyte du soir, prête à quitter la bibliothèque.. et déjà à la recherche d’un prétexte pour pouvoir s’éclipser.

Surprise, et agacée. C’est le moins qu’on puisse dire. Dactyle se pince les lèvres d’agacement à la remarque du spectre rouge à qui elle se contente de lancer un regard interrogateur, quoiqu’un peu agacé. Juste un peu. Ile l’a prise de court.  Comme ça quoi d’abord ? Sérieuse ? Appliquée, Meh.   Si elle avait auparavant du mal à mettre des mots dessus, elle sait à présent d'où vient cette impression de malaise qu’elle ressent en sa présence. L'individu manque clairement de sérieux. Dactyle a toujours eu du mal à interpréter les émotions et sentiments des autres. Et l’extravagance, la démonstration à outrance la mettent mal à l'aise avec une facilité affolante, tant elle même essaie de dissimuler la moindre de ses émotions. Elle s'apprête à lui répondre. Mais bug purement et simplement en voyant le spectre rouge … Chourrer un livre. KESKE . Soudain, Dactyle se remémore quelques instants plus tôt, attendez mais ! c’est qu’iel l’a déjà fait en plus !

-Bon... J'ai terminé. Je t'attends à la sortie!!! On pourra discuter .....de comment on va passer la soirée. Je suis lasse des soirées cartes et osselets. C'est l'occasion de faire plus ample connaissance.


- Mais je -

Entre l’autre cleptoman qui se casse sans même attendre de réponse et l’arrivée du moine énervé, Dactyle ne sait où donner de la tête. Ses maigres heures de sommeil n’aidant pas. Et la voilà donc plantée là, à se faire remonter les bretelles injustement, par un moine tout sauf aimable. A bout, tant physiquement que psychologiquement. Dactyle l’aurait bien assommé avec un livre pour toute réponse. Mais elle se contente de lui coller le livre entre les mains et de tourner les talons, quittant la bibliothèque sous les commentaires pour le moins véhéments pour un homme de foi.

Dehors, la nuit est tombée sur la blanche Maël, et Dactyle fulmine sur le chemin du retour. Faire plus ample connaissance et puis quoi encore. Elle n’était pas là pour se faire des amis. Comme si les Spectres étaient là pour jouer aux cartes et aux osselets ! Un peu de sérieux ! Ils ne sont pas là en touristes ! Une des raisons pour lesquelles, elle n’assiste que peu à ses soirées .. ça et  CRAC- Les dents serrées, alors que ses crocs s’allongent, la Bête ne peut réprimer un râle proche de l’agonie, alors que ses os se brisent douloureusement. Comme il en est coutume tous les soirs. Les articulations craquent, électrisant ses membres endoloris alors qu’ils se couvrent de fourrure brune. Heureusement, son uniforme de limier est adapté à ce genre de désagréments. Le souffle court, le regard troublé  un instant, il lui faut lutter pour reprendre ses esprits. Sens des priorités oblige. Sa première pensée  va aux moeurs shoumeienne. Si les lycanthropes sont globalement bien acceptés en République, elle ne connaît rien des coutumes locales, et doute que par les temps qui courent. Une grosse bestiole de griffes et de crocs soit bien reçue, si trouvé à rôder dans les ruelles sombres. Qu'à cela ne tienne, elle use de ses dernières ressources pour recourir à ses capacités d’illusionniste. Et la voilà à nouveau humaine. Du moins.. aux yeux des passants seulement. Dans les faits, La Bête est toujours aussi frustrée. S’il serait plus responsable de seulement rentrer à la caserne, seule et enfin dormir. A cet instant la seule idée d’être enfermée entre quatre murs la terrifie. Et puis, elle a son honneur à défendre. Aussi, décidée, elle tourne les talons pour retrouver le spectre rouges voleurs de bouquins.
Ah L'illusionnisme l'intéresse ?  Très bien. Elle allait lui en servir. songe t’elle sur le trajet.
Elle le trouve posé à une fontaine, lisant comme si de rien n’était, l’un des objets du délit. Celui avec un titre ridicule. Si Dactyle apparaît sous des traits humains, son aura n'est plus la même, et son sarcasme est évident :


- On t’ennui donc à ce point  raille t’elle en désignant le livre d’un mouvement de tête. Si c’est l’cas je suis curieuse de savoir ce que tu as de mieux à proposer.

lance-t-elle au  spectre rouge, les bras croisés, ses iris orangés brillants plus encore d’un air de défi.

La désinvolture avec laquelle le spectre rouge range tranquillement son livre, volé,  soit dit en passant.. ne fait que rajouter une petite couche d’agacement sur une bonne tartine de colère refoulée. Et cette condescendance AHH quel enfer. Iel lui donnait une impression de détachement constant, l’insupportable sensation que tout ça n’était qu’un jeu à ses yeux. Une attitude qui plongeait Dactyle dans une colère invraisemblable.
Et puis quoi ? Elle devrait s'excuser de faire.. son travail !?
Alors même que les titans ravagent Shoumei, et bientôt peut être le monde ! Et rester là jouer aux cartes aux osselets , à rédiger des rapports débiles, lire des livres absurdes dans des bibliothèques remplis de foutus moines psychorigides qui se permettaient de cacher des informations par on ne sait quelle bienséance plus débile encore !  Et s’il se croit drôle avec ses métaphores et bien alors.. Une profonde inspiration. Non, elle ne craquera pas pour si peu.

- Si tu veux juste rencontrer du monde, y’a des tavernes pour ça . Pas la peine de rejoindre une unité militaire. J’ai pas besoin de ta sympathie. De ta pitié encore moins. Merci.

La réponse est concise, glaciale. En dépit de la rage bouillonnante qui l'habite. La Bête serre les crocs. Elle en a vu d'autres, il n’y a aucun moyen que cet espèce de cleptoman coach de vie parvienne à la faire craquer. Aucun. Vraiment. Pas.  Mais lorsque le démon s’avance, et pose la question fatidique. Elle explose.

La louve est semblable à un renard pris dans un collet, plus elle se débat, plus elle s'acharne. Plus l’étau se resserre inexorablement sur sa gorge, la privant du moindre repos, du moindre oxygène. Elle suffoque, des semaines qu’ils sont ici et elle n’a toujours rien trouvé de concret. Pendant ce temps, les titans approchent, inexorablement. Peu importe leurs efforts, ils ne seront jamais prêts. Alors il faut persister. Multiplier les entraînements, les recherches et les stratégies. Si bien que la Bête se lance à corps perdu sur n’importe quelle piste. Jusqu'à épuisement total. Jusqu'au point de rupture.  Le spectre rouge n’est douloureusement pas si loin de la vérité. Elle est un animal acculé, terrifié. Qui n’a plus qu’une porte de sortie. L’attaque.

- Ce que je veux !? Ce que je veux c’est une foutue solution ! J’en ai marre de cette foutue ville. Marre de brasser de l’air. On est là, à attendre, à rédiger des putains de rapports, alors que la menace est à nos portes ! Et tu voudrais que je me détende ?! J’veux pas me détendre, je PEUX pas me détendre. Son illusion vacille furtivement alors que ses mâchoires puissantes claquent face a la rouge. Son ton redescend un peu après avoir craché ces derniers mots. Réalisant soudain qu’elle s’était rapprochée d’Halewyn, dans une posture plus que menaçante. Ses prunelles oranges brûlantes de rage et de détresse scrutant le Spectre.  Elle recule, soupirant les yeux clos, deux doigts entre les yeux. Se reconcentrant sur son illusion, qui a pu vaciller quelques instants.  .. Ce dont j’ai besoin... c’est d'agir.  

Elle voulait oublier. Elle ne voulait plus penser.

Si La Bête peinait à maîtriser sa respiration saccadée, elle se calme immédiatement lorsque l’éventail se pose sur son museau. Pourtant supposément indiscernable alors, comment … ? Iel n’était pas censé pouvoir. Sa colère retombée en un instant, remplacée par une incrédulité certaine. Bien sûr Halewyn était un Spectre, il n’était pas difficile d’imaginer qu’iel possède des compétences de détection magique mais enfin . A moins que ... Elle réalise qu’en perdant son calme, son illusion à put vaciller. Mais quelle abrutie, Maintenir un tel sort, et sous cette forme, demandait une concentration et un calme certain, qu’elle n’était actuellement pas en mesure d’assurer. Réalisant qu’elle avait elle-même failli, son cœur s'accélère à nouveau, pulsant dans sa poitrine et  jusque dans ses tempes. Elle se maudit d’avoir été si négligente, d’avoir failli pour si peu.

Ainsi, tout ce que son esprit embrumé par la colère et la fatigue retient c’est “ nous, aller taper sur des bestioles.” et pour cette fois, uniquement pour cette fois, ça suffit à la Bête. Dactyle  qui n’est déjà plus vraiment elle-même, tend un bras en direction du spectre rouge, hésite un instant. Alors qu’une voix lointaine lui souffle que peut être, il ne s’agirait pas là de la meilleure idée qu’elle ait eut. Mais, la Bête la fait taire immédiatement. Un grognement mécontent pour toute réponse, elle saisit le bras du démon. Son illusion jusqu'alors restituée, se brise définitivement. Révélant son apparence monstrueuse. des prunelles semblables à deux flammes oranges, une épaisse fourrure brun rouge, des pattes puissantes qui se terminent en d’épaisses griffes noires, et des crocs luisants et soigneusement brossés.

Mais juste avant d’être téléporté, un petit détail la frappe.


- Attends… des quoi ?


Trop tard, les deux Spectres se retrouvent téléportés à la lisière d’un bois, bordant une petite ferme. Un décor habituellement charmant sans doute. Si on oublie le feu et les… poulets lézards et les caquètements stridents qui s'élèvent de toute part. La Bête rabat ses oreilles en arrière, gênée par le bruit, et l’odeur de fumée âcre qui lui emplit les narines. Tous ses sens en éveils, saturés d’un trop grand nombre d’informations, elle essaie d’évaluer la situation. Alors qu'un poulet pyromane, visiblement très mécontents surgit d’un taillis juste devant les deux Spectres. Elle jette un coup d'œil à son acolyte. Mais à quoi les nourrissent leur poulet à Shoumei !? Est ce que ce truc vient de .. cracher du feu ?  

- Mais c’est quoi ça ?!

La Bête n’avait jamais croisé ce genre de créature en république. Et après tout, peu importe. Que la chasse commence.