Après il déchira le voile du songe

Le corbeau volait tranquillement vers la destination que le Messager de son fils/fille lui avait indiqué. Lui ayant offert l'hospitalité, le démon avait arpenté le monde de Rêves pendant que le Rêveur se reposait. Et, soyons franc, iel était fort curieux. Alors s'était t'iel mis en route, de sa façon usuelle, alternant téléportation et vol sous forme de corbeau. Iel aurait pu amener Melkor, mais en tant que tel, ce N'était qu'un bref aller retour pour assouvir sa curiosité dévorante du coup ce n'était nullement nécessaire.

Ah ca, pour ne pas être décu, iel ne le fut point. Ca semblait festif par là bas. Festif et dangereux

Le volatile, des milles à la ronde, vu des colonnes de fumées, noires et grasses, monter vers les cieux. Et si iel avait appris quelque chose de Sancta, c'était la prudence. Aussi vira t'iel sur l'aile pour aller se reposer dans un arbre centenaire. Le Spectre y pris place et décida de taper une petite sieste. Iel n'était pas inquiet, Rêves était en vie, iel le ressentait. Du coup, autant attendre et pioncer un coup. Le reste s'éclaircira en temps et en heure.

Ce ne fut que lorsque le soleil fut bas à l'horizon qu'iel se remit en route, reprenant sa forme de corvidé. Depuis le temps qu'iel arpentait le Sekai en long large et en travers, l'astucieux démon en avait mémorisé bien des recoins.  Et quand iel arriva, c'était avec les charognards qui commençaient à affluer d'un peu partout, attirés par l'odeur de bois, de terre, de sang et et de chair cuite,  Aussi survola t'iel les lieux à basse altitude, admirant d'un oeil de connaisseur le carnage qui eut lieu.

Violent, impitoyable, efficace.

Le volatile se posa sur la tête d'une statue tricéphale carbonisée et méconnaissable, Crôassant sa joie d'être là et son existence à tout vent avec fierté. Iel sentait des âmes à posséder évoluer dans les décombres

CRRRROOOOOOOOOOOAAAAAAAA!!!!!


Cri repris par une couples de corbeaux occupés à picorer les cadavres fumants en une lugubre symphonie.

Au beau milieu des décombres, une silhouette élégante se démarqua subitement en se frayant un chemin jusqu'à l'extérieur d'une maisonnette détruite. Contrastant curieusement avec le décor lugubre dans lequel elle évoluait, cette étrange apparition paraissait être un véritable fantôme. Chantonnant une mélodie ancienne qu'elle avait appris en sillonnant les rêves d'une louve guerrière, l'entité arpentait la tombe sinistre de ses défunts fidèles, ce en arborant un sourire radieux qui contrastait dramatiquement avec la triste histoire de ce lieu qui, quelques heures plus tôt, était resplendissant. Cette ode à la vie, si belle et éphémère, avait été anéantie par des flammes domptés par des Hommes puissants et avides de pouvoir.

C'était une bête mystérieuse, à mi-chemin entre une femme immense et un volatile, qui s'aventurait d'un pas aérien au beau milieu des ruines. Sa peau était aussi pale que la surface brillante de l'astre lunaire mais ses extrémités trahissaient sa nature inhumaine car ses mains comme ses pieds se terminaient en griffes et en serres à la teinte charbonneuse. Affublée d'un masque d'ébène richement décoré qui ne ne laissait entrevoir que ses lèvres, elle arborait une gigantesque crinière qui voletait derrière elle, bien trop légère et aérienne pour pouvoir sembler réelle.

Errant parmi les gravats, la créature chimérique récoltait sur son passage quelques maigres vestiges du village tombé aux mains de ces soldats, y décelant parfois quelques souvenirs heureux ou encore quelques savoirs oubliés que la rafle des militaires n'avait pas emporté. Des corbeaux s'étaient joint à elle, triomphants et heureux de pouvoir prendre part à ce festin sinistre que constituait le charnier dressé au centre des ruines. Riant furtivement lorsque l'un des volatiles se posait sur ses épaules pour lui murmurer des remerciements et lui poser des questions, elle leur répondait parfois mais retournait bien vite s'atteler à la tâche de la récolte.

Puis vint un autre oiseau, bien différent de tous les autres. Après s'être posé non loin d'elle, il poussa un cri puissant qui attira brièvement l'attention du Marchand de Sable. L'apparition onirique tourna la tête dans un mouvement vif et précis, et reconnut dans l'œil de l'animal une lueur d'intelligence tout à fait extraordinaire. De son pas si léger qu'il en devenait fantasmagorique, l'entité démoniaque approcha donc du volatile, auquel il parla via un curieux mélange de roucoulements et de sifflements :

"Tiens donc, un nouveau-venu. Nous connaissons-nous , petit être ?"

La chose sourit, dévoilant des crocs pointus et tout aussi noirs que les plumes qui ornaient son corps issu d'un autre monde.

Tournant la tête de coté, l'animal claqua du bec avec force, sursautant peut-être quand un pilier de bois s'effondra sur lui-même à leur gauche. Une lumière clignotante à la limitede ses perceptions indiquaient une âme à prendre. C'était tentant d'aller le houspiller, le Grand corbeau n'aimait pas les voyeurs. Mais iel avait appris la sacro sainte vertue de faire profil bas.

-CRÔÔÔAAAAAAAA!!!!!!!

Alerta t'il en s'ébouriffant les plumes et en battant les ailes. Cri encore une fois repris pr quelques volatile. Une voix résonna alors dans l'esprit du démon tandis que l'animal pris le soin de remettre de l'ordre dans son plumage avec des coups de becs impatients.

*Salutations à toi ô Marchand de Sables. Je réponds à ton invitation mais je dois reconnaitre que le songe que tu m'a envoyé ne ressemblait pas du tout à cela. Je ne m'attendais pas à ce que cela soit si chaleureux' *

Prenant son envol, causant une certaine agitation che les autres, Maitre corbeau pris place sur un nouveau perchoir, un peu moins exposé à la vue de tous. L'oeil rubis flamboya tandis qu'iel tournait la tête en tout sens pour bien apprécier la nouvelle déco. Encore une fois, il n'y avait pas de traces de pillards... Tout semblait avoir été fait avec une rigueur toute militaire.  L'odeur de charnier lui plaisait. Iel aurait bien dansé sur les corps, mais ce qu'iel sentait l'agacait, aussi resta iel en emplumé.

* Toute cette démonstration festivalière n'est pas causée par ma visite... Je ne suis pas si important. Dis-moi, Maitre des Songes, ce qui s'est passé. *

Prenant encore son envol, le Grand corbeau sembla rapetisser légèrement, juste assez pour pouvoir prendre place confortablement sur l'épaule de la Chimère après y avoir délogué le précédent locataire dans une envolée de plumes brèeves et d'un vicieux coup de bec meurtrier qui envoya le présomptueux dans l'autre monde. Le corp de l'oiseau tomba doucement au sol dans un bruit sourd.

Une fois bien installé,  tel un souverain de ténèbres le Grand Corbeau se calma. Avec morgue, iel jugeait tout et n'importe quoi de son oeil rubis, sauf Rêves qui pouvait se sentir reconnu et accepté comme iel était encore une fois, l'esprit du Maitre Miroir l'effleurant doucement, interrogative

note de la joueuse: le texte entre les * est télépathique

"Oh, c'est donc toi, Père/Mère. Je ne t'avais pas reconnu sous ce déguisement."

L'un des volatiles fut assassiné de sang-froid par le nouvel arrivant qui se présentait à point nommé. Halewyn, sous son camouflage particulièrement réussi, s'installa à la place de ce dernier sur l'épaule de Rêve, qui continua son exploration des lieux avec une inlassable curiosité. Des yeux indésirables s'étaient sans doute posés sur les deux entités obscures mais ni l'une ni l'autre ne paraissaient y accorder une attention particulière. La voix du sculpteur fit son apparition dans l'esprit tumultueux de la chimère onirique et ce fut d'abord par un ricanement féminin que répondit la bête, avant de prendre la parole dans un murmure prononcé à deux tons :

"Il est vrai que cet endroit a subi quelques abrupts changements."

Comme pour souligner ce propos, la créature s'affaissa légèrement sur elle-même pour caresser de ses griffes les maigres résidus de la main calciné d'un enfant. Méconnaissable, la carcasse brûlée jusqu'à l'os n'offrait que bien peu d'informations quant à l'identité du défunt, au delà de son âge. La seule chose que Rêve avait su leur épargner était la souffrance et sa seule promesse, celle de pouvoir jurer à leurs fantômes que ce sacrifice n'avait pas été effectué en vain. Cessant enfin de chantonner dans cette langue imaginaire n'ayant ni code ni syntaxe, le Prince des Songes récolta un peu de cendre par la simple force de sa psyché, puis continua sa marche mortuaire en jouant paisiblement avec la poussière charbonneuse qui se déformait en une minuscule tornade noire au gré de ses pensées. Il reprit la parole, faisant fi de l'éventuelle présence d'une oreille parasite :

"Ce qui s'est tramé ici ? Une expérience, pour ainsi dire... Un premier balbutiement. Une idée."

Un nouvel éclat de rire cristallin vint agrémenter ses dires. De son index allongé, il pointa du doigt le plateau immense par lequel les soldats étaient venus pour anéantir le village désormais éteint. Un coup d'œil avisé suffisait pour détecter les formes caractéristiques d'une multitude d'empreintes humaines, traduisant sans mal un aller, suivi d'un retour. L'histoire du carnage semblait se raconter toute seule. Le choix de mots de Rêve, pourtant, n'évoquait pas l'ombre d'un regret et pas une once de remord.

"Le village était devenu trop florissant au goût de l'Empire. L'amour de ses habitants pour toi, moi et nos semblables a semblé suffisamment grand pour inquiéter les puissants. C'est celui que les Hommes nomment "Griffe" qui a ordonné l'exécution de ces pauvres âmes."

Son doigt tendu se réorienta vers les cieux et un nouveau corbeau, indifférent à la mort du précédent courageux qui s'était risqué à approcher Halewyn, s'y posa. Soutenant ce jeune explorateur du bout de ses serres, Rêve fit claquer sa langue serpentine et dans un roucoulement pétillant d'enthousiasme, il ajouta :

"Mais..."

Ce n'était pas tout. L'enthousiasme de la bête onirique ayant bien évidemment une origine qu'il lui tardait de partager avec son bienfaiteur :

"... La Griffe m'a fait une offre. Une invitation accompagnée d'un droit de passage absolu. J'ai accès à leurs ressources, leur savoir-faire, leurs ouvrages. Il m'a proposé d'établir mes idées sur les terres dévastées de Shoumeï, là où la foi ébranlée n'attend que d'être orientée vers une déité plus... sincère et juste ? Puisque je détiens la bénédiction du Reike pour y propager la parole du Songe, je vais donc m'y rendre et tout recommencer."

*Intéressant* Dit Corbeau dans la tête du Rêve *Tant de Cruauté gratuite et c'est nous les barbares qui menaçons le monde... La Griffe... Un des ministres du Reike, a fait cela? Il a demandé `ses hommes de massacrer sans âmes, hommes, femmes, enfants, bébés et vieillards? * Rêves pouvait sentir l'amusement profond d'Halewyn ainsi que son envie de danser au milieu du charnier, seules les âmes errantes emplies de curiosités l'en empêchait. .

C'était du beau boulot quand même, cette Griffe a fait un génocide d'exception. Un homme de pouvoir qui a tellement eu peur d'une utopie qu'il a préféré écraser dans l'oeuf une expérience qui aurait peut être, à terme, pu lui bénéficier ou clouer son clou de cerceuil. Les mortels se sentaient si facilement menacés. Qu'aurait pu faire un si petit village excentré face à la grandeur du tout puissant empire Reikois? Et à la place d'inclure dans son Auguste giron une si petite bourgade prospère et en faire un joyau fidèle et reconnaissant dans les avants-terres, Il a préféré occire tout le monde. Que vont penser les villages voisins de tout cela? Quel message cela passera t'il? Que l'armée peut faire ce quelle veut de tous?

Les misérables d'aujourd'hui font les loups de demain pensa Halewyn en partageant sans fard ni filtre ni honte toute la logique qui lui passait par sa tête emplumée enseignant son marchand de sable sur les conséquences que cette tragédie aura assurément dans l'imaginaire des hommes. Pour que sa fils/fille puisse entreprendre les actions qu'il jugera appropriées, ou non.

Parfois, il ne suffit que d'une étincelle pour allumer une idée tenace qui perdurera pendant des siècles.

*Cette Griffe a massacré tes Mortels mais t'a laissé la vie sauve et libre d'aller foutre le bordel chez le voisin. Et quand il n'aura plus d'utilité de ta personne il tuera ta seconde expérience? De plus, j'ai l'impression d'entendre de l'ironie quand tu parles de bénédiction du Reike. Depuis quand avons nous besoin d'une '' bénédiction?'' Surtout toi, Marcheur Onirique. Je sais que tu sais déjà tout cela de par ton apprentissage constant, mais parfois il est bon entendre une autre voix le dire. Le chemin reste tien cependant. Partage moi tes pensées et tes plans mon cher. Il y est de ces choses qui ne doivent être entendues des oreilles mortelles. Puis je t'être d'une quelconque assistance dans tes projets? *

Demanda le Créateur en toute bonne foi . Oui, parce qu'ici, nous parlons des projets de Rêves. Affectueusement, avec un soutien indéfectible, Halewyn se met à jouer du bec dans le cou du jeune démon, replaçant quelques plumes malencontreusement froissées. Iel n'est, dans toute cette histoire, que le personnage de soutien.

*Il reste à minima un survivant chez tes Mortels, il est encore chez moi à l'heure actuelle. Désire tu que je lui transmette les visions de ce qui s'est passé ici et de voir comment cela va tourner? Je l'exécute? Je le garde? *

"Mes... mortels ? Allons, je n'ai pas cette prétention, tout de même."

Etait-ce seulement vrai ? D'une certaine manière, ne s'était-il pas servi de ces innocents, les utilisant comme de simples appâts afin de tester l'appétit du dragon reikois. Peut-être, à bien y songer, qu'il avait effectivement usé de ces pauvres âmes comme de "ses mortels". Des jouets et des outils, convertis à sa cause et entreposés là comme de vulgaires agneaux destinés à être livrés en pâture aux loups impériaux. Fort heureusement pour Rêve, ces considérations ne l'atteignaient que très superficiellement et c'était donc davantage comme une vague déconvenue plutôt qu'une véritable perte qu'il percevait la mort de ses fidèles.

Les propos d'Halewyn, bien que formulés par la voie de l'esprit, semblaient imprégnés d'une certaine agressivité, une impulsivité qui surprenait légèrement l'engeance onirique, mais qu'il interpréta comme dénuée de malveillance, voyant plutôt la chose en simple marque d'amour et peut-être aussi d'inquiétude ? La discussion, cependant, devenait sans doute un peu trop personnelle pour être partagée avec les yeux indiscrets du voyeur que, cette fois-ci, le Démon avait clairement identifié. Ses corbeaux chéris lui avaient révélé, par un murmure furtif, que l'intrus se trouvait justement parmi eux. Au loin, sur une pierre vertigineuse, la chimère fantasmagorique l'avait aperçu. Les yeux rivés vers les iris luisants de l'espion camouflé, Rêve claqua des doigts et sa silhouette devint brièvement confuse tandis que la lumière se tordait autour des deux créatures démoniaques.

Se matérialisant depuis les cendres qui recouvraient le charnier, des fantômes illusoires se manifestèrent et se mirent à arpenter les lieux. S'apparentant à d'étranges figures religieuses, voilées de la tête aux pieds, elles frappaient doucement des carillons tout en évoluant autour d'eux, rendant difficile l'écoute de leur conversation et les masquant derrière un mur de toile hallucinée, aussi merveilleuse qu'inquiétante. Laissant ses créations aller et venir, il reprit sa conversation en toute tranquillité :

"En effet Créateur, j'en apprends chaque jour un peu plus sur les forces qui régissent le plan matériel. L'Empire est éphémère, tel une flamme hurlante qui brûle bien trop fort pour ne pas s'éteindre d'elle-même. A l'heure actuelle, cependant, je ne peux m'opposer frontalement à sa force écrasante. Fort heureusement, je n'en ai pas besoin. Quant au mortel que tu détiens... je préfèrerais ne plus avoir à m'en soucier. Tue-le, si tu veux bien.

Evoluant parmi les sinistres silhouettes qu'il animait par magie, il apparut un bref instant aux yeux de l'espion qui tentait tant bien que mal de les repérer et de les entendre derrière la mélodie constante des carillons battus par un vent imaginaire. En l'apercevant, Rêve ne manqua pas de glousser furtivement. Suite à quoi, il se recentra sur la conversation et reprit :

"Je connais l'entreprise de la Griffe et de ceux qu'il représente. Il souhaite m'éloigner de ce qu'il perçoit comme ses terres, ce afin d'éviter de m'y laisser tisser ma toile. Il n'a en revanche aucune objection à me voir sauver la civilisation mourante d'un endroit ravagé car que pourrait-il conquérir, s'il ne reste que des ruines ? Tôt ou tard, il cherchera à reprendre la main sur ce qu'il ne contrôle pas déjà et il fera s'abattre la colère de ses armées sur les villes et monuments que les croyants auront bâti ailleurs..."

Marquant une pause, il laissa s'agrandir le sourire qui décorait son visage de porcelaine.

"...mais lorsque la foi débordante de mes fidèles se sera emparé de l'entièreté de Shoumeï et que nos idées s'étendront au delà de toute frontière, comment pourra-t-il stopper notre œuvre ? Nous ne sommes pas des Hommes, nous ne bâtissons ni empire ni nation. Ce sont leurs craintes, leur folie, leurs aspirations et leurs rêves qui nous animent et c'est bien là tout ce que j'espère obtenir d'eux."

La risette radieuse se fit carnassière et les crocs, en un battement de cils, parurent tous plus affutés.

"...je veux avoir leur foi, leur amour, leurs cœurs, car c'est cela qui me nourrit. Toi qui sais à quel point rêve et réalité sont liés pour avoir foulé le Songe en tant que sculpteur et non captif, vois-tu combien ce monde a changé ? Les Titans sont revenus. Ils creusent des failles dans la réalité et leurs créations s'y immiscent. Chaque jour, l'irréel gagne du terrain sur le tangible."

Son torse s'ouvrit dans une série de craquements sordides, se déformant en une gueule serti de dents grouillantes. Rêve y plongea la main, et vint en extraire une sphère luisante dont la coquille extraordinaire semblait faite de pure énergie démoniaque. Irradiant les lieux d'une lueur inquiétante, l'orbe colorée semblait contenir à elle seule un monde tout entier. Tout en caressant la surface lisse qui grésillait au contact de ses serres, Rêve glissa avec enthousiasme :

"Vois-tu de quel pouvoir ceux qui croient en moi m'ont doté ? Leur espoir me fait grandir, leurs pensées alimentent mon esprit et même leur chagrin nourrit ma puissance. Ne soyons pas instruments, soyons bien plus ensemble."

Avec précaution, il replaça l'orbe au creux de son corps et la gueule cauchemardesque, dans un grognement macabre, se referma dessus tandis que sa poitrine hallucinée se reformait par dessus. Les iris multicolores de la bête démoniaque se rivèrent sur le corbeau et, avec une alarmante gourmandise, Rêve conclut :

"Que dirais-tu de voir un jour le Songe se déverser dans le Réel ? Un monde paradisiaque, où fantaisie et réalité ne font plus qu'un, où tout est possible et où chaque idée, aussi infime soit-elle, se cristallise en un rêve somptueux ? Une utopie, MON utopie."

La voix douce et féminine, curieusement, s'était changée en une véritable raillerie grinçante et dissonante.

Evidemment que Hale était inquiet pour sa progéniture. M'enfin, brièvement parce que le démon était un grand garcon-fille et gérait comme iel le voulait.  Même si iel ne l'avait pas mise au monde sciemment ou par les voies conventionnelles, Rêves incarnait bien des choses pour iel succube. Le démon était fier de ce dernier qui avait une facon délicieusement ludique de tester les Mortels. La seule ombre au tableau était la Griffe...

Aux illusions des fantômes, et aux bruits, le Grand corbeau croassa de plaisir en frottant sa tête contre celle de son pair, en remerciement.

*Oh, tu me le donne? Si c'est gentil! *

Pour faire bonne mesure, Halewyn en rajouta une couche par dessus les illusions des fantômes, ajoutant les cadavres calcinés qui semblaient vouloir se lever pour réclamer vengeance... Un hurlement de loup lointain se fit entendre, suivi d'autres. ŀugubres, intillant la peur... Il ne manquait qu'une petite malédiction pour bien pimenter la légende de l'endroit et en faire quelque chose qui marquerait les esprits, d'ailleurs, ici le Voile entre les mondes oniriques et le réel était plus ténu qu'ailleurs, l'influence de Rêve y étant encore bien présente. Ca donnait des idées... Mais pour cela, il fallait l'aval du maitre des lieux.

Parce que votre succube favorite respectait les biens des autres démons.  Et savait que Rêves du moins, respecterait les siens.

*Des Ruines et des Cendres autant Shoumei que ce village... Bouillonnent toujours un sang fort. Les Mortels c'est comme les lapins, stressez les un peu et ils se mettent à engendrer des dizaines d'enfants.  Nous avons toutes l'éternité pour y arriver non? Les idées pour les quelles les Martyrs versent leur sang sont immortelles et dangereuses parce qu'elles sont porteuses de rêves d'un lendemain meilleur. Essayer de les écraser leur donne une légitimité aux yeux des éphémères*

Signe d'une confiance absolue, son marchand de Sable montre son orbe au regard approbateur d'Halewyn qui crée une illusion atour d'eux pour cacher l'artefact des yeux curieux.  C'est l'équivalent de ses bijoux de naissance en somme... Juste que ou le Créateur s'approprie le sang, les larmes, les os et l'acier de ses Mortels comme vaisseau pour acceuillir leurs âmes à leur mort physique, le Marcheur onirique lui s'approprie littéralement un autre niveau. Si Halewyn ne dédaigne pas et s'alimente des Rêves des dormeurs, iel n'en n'a aucunement besoin pour survivre ou se développer.

"Que dirais-tu de voir un jour le Songe se déverser dans le Réel ? Un monde paradisiaque, où fantaisie et réalité ne font plus qu'un, où tout est possible et où chaque idée, aussi infime soit-elle, se cristallise en un rêve somptueux ? Une utopie, MON utopie."

La voix douce et féminine, curieusement, s'était changée en une véritable raillerie grinçante et dissonante qu'Halewyn ne recadra pas. Chacuns étaient libre de son chemin, Mortel comme Démon, iel n'était que le petit coup de pouce, l'aide requise.  Peu lui importait en fait. Tant que ses Mortel à iel étaient respectés, le reste de la populace étaient des jouets à partager. D'ailleurs...

Sur le chemin , entre ton utopie et toi, se dresse une personne avec un Visage. Cette Griffe, quels projets fomentent tu le concernant?

Le Créateur comprenait et ne s'opposait nullement au projet fou de l'engeance onirique. Avec un sourire satisfait, la bête chimérique accueillait les observations de son homologue, heureuse d'être accompagnée par un être immortel qui partageait sa vision de ce que pouvait devenir ce Monde ci, avec juste assez de folie pour y croire, cela et la déraisonnable ambition d'un être se croyant au dessus de tout. Ramassant une pleine poignée de cendres, la bête obscure souffla dessus et la poussière grisâtre se changea en spirale prenant la forme de deux silhouettes dansantes avant de disparaître en un battement de cils.

"La Griffe ? La Griffe..."

Une question qui avait certes mérité réflexion lorsque la corruption onirique s'était emparé du premier village mais qui avait été désormais étudiée avec tant de précaution qu'elle ne représentait pour Rêve qu'une banale formalité. La bête avait tout envisagé, du meurtre à l'alliance en passant par l'ignorance et une seule méthodologie fiable était ressorti de ses analyses. Sans la moindre once d'hésitation, il expliqua donc tranquillement à son interlocuteur :

"Ce n'est pas un adversaire que je souhaite affronter directement..."

Le sourire s'affaissa un peu, mais demeura bien visible :

"...et j'irai jusqu'à dire que ce que je veux, c'est même de ne plus avoir à le considérer comme tel."

Pour clarifier ce qui pouvait tout à fait sembler nébuleux dans son curieux raisonnement, le Démon compléta enfin après un bref instant de mutisme :

"Il est aisé de déchiffrer les passions qui animent Deydreus Fictilem. Né dans la guerre et existant uniquement pour elle, il n'a d'humain que l'apparence et la génèse.  Il arrive parfois qu'en de rares occasions naissent des êtres tels que lui, ceux que l'on nomme des "champions" au sens le plus strict du terme. Comme il est dommage de ne découvrir cet homme qu'après la disparition de Sœur Violence. Il aurait fait pour elle un excellent porteur..."

En biais, Rêve accorda à la statue morcelée illustrant ses confrères et consœurs, et observa avec mélancolie les résidus de l'épée sculptée et reproduite avec tant de sens artistique. Il était presque poétique d'en voir la représentation détruite de la même façon que l'avait été originale, mais le Marchand de Sable se garda bien toutefois de le souligner, pour se recentrer sur le sujet important. Avec gravité, il reprit :

"La Griffe ne peut pas être détournée de ses objectifs. Corrompre cet individu n'est pas en mon pouvoir, il m'est même impossible de le pousser à abandonner ses rêves au profit de nouvelles fantaisies."


A nouveau, les crocs se dévoilèrent. Il avait déjà essayé d'influencer Deydreus une fois et n'y était pas parvenu. Cette méfiance faisait la force du chevalier noir face aux promesses du Voyageur. La langue noire siffla en serpentant dans un crissement presque mélodieux, puis la tête de l'ange blasphématoire se tourna vers celle du corbeau :

"Il y a toutefois autre chose... Plutôt que de le convaincre de se lier à moi et de me suivre dans notre noble quête, je pourrais le persuader qu'il est parvenu à me convertir à sa propre cause. Feindre de servir l'Empire par crainte de perdre l'ensemble des Hommes, m'approcher de lui en prétextant vouloir œuvrer pour la sauvegarde du Monde face à l'inévitable venue des Titans; puis insinuer finalement en lui l'idée selon laquelle mes objectifs et le sien ne font qu'un. Il faut qu'il accepte, peu importe la voie, de saisir la main que je lui tends."

Un ricanement s'échappa de la gorge de l'entité, et elle conclut cette fois-ci à trois voix :

"Il ne m'en voudra pas. Lorsque ce Monde ne sera plus que béatitude, aventure et fantaisie, je pense même qu'il me remerciera de l'avoir ainsi transformé. Je lui créerai ces batailles qu'il chérit tant. J'en ferai un Empereur. Je lui sculpterai une Impératrice. Il sera heureux, si heureux de pouvoir vivre dans mon univers de songes infinis. N'ai-je pas raison, Père/Mère ? N'est-ce pas la voie ?"

Le Grand Corbeau suivit la danse des cendres, attentif aux paroles de Rêves. Il était lucide dans ses capacités. Conscient que ce n'était pas tout les Mortels qui s'affrontaient directement. Iel comprenait que, comme iel même avec Seagan, le Marchand de Sable opérait avec la Griffe. Coopérer pour gagner du temps. Il est vrai que lorsque leur présence en ce plan d'existence était en jeu, mieux valait plier momentanément.

"...et j'irai jusqu'à dire que ce que je veux, c'est même de ne plus avoir à le considérer comme tel."

En gros, il voulait le considérer comme son Mortel, son favori, son champion... Pourquoi? Par défi? Ce fit réfléchir le créateur. La nécessité de champions se battant en leur nom Halewyn ne désirait pas se porter en première ligne pour le moment. Bon, évidemment qu'iel y serait obligé un jour ou l'autre comme dans l'antre de Puantrus, mais le Sekai est vastes et la roue tourne. Les plus éphémères des Mortels, ceux à la mémoire la plus courte, influençant tout en fait par leur nombres qui pallie leur courtes vies. Les récits deviennent des histoires et des légendes. Des millénaires de lucidité. Pour le moment, Halewyn décida que Deydrus et Rêves était leur histoires, deviendrait il son champion? C'était espérer pour l'éternité de sa progéniture. Surtout quand l'hypothèse de l'appairer avec Violence fut soulevée. C'était un résumé fort succinct mais révélateur de l'individu en fait.

Support silencieux, le corvidé laissait son pair démon verbaliser sa frustration et poursuivre sa pensée pendant que les zombies calcinés finissaient de se relever maladroitement. .

-Belle stratégie. Approuva t'iel. -cCela a de bonne chances de fonctionner à long terme. Après tout, tu as l'éternité pour parvenir. De plus, nos intérêts convergent en ce moment. Puantrus s'agite d'ailleurs en Shoumei, j'ai du sévir. D,ici à ce que els titans tombent, nous aurons avancé certainement. N'oublie cependant pas de tenir compte des obstacles qui surgiront inévitablement Tu entame un travail d'envergure Prince des Songes, je suis fier de t'avoir amené ici.

Ou Rêves voir la réalisation des rêves mégalomaniaques d'un Mortel, Halewyn voit le changement et la roue tournante du pouvoir mortel. Après tout, les plus grands pouvoirs sont nés des songes . Un empereur qui tombe, une impératrice, un royaume... Du sang à profusion. C'est dans ces époques que les plus grands héros naissent.

C'est ta voie mon cher. Ni Cauchemar perpétuel, ni Rêverie innocente. Je ne peux qu'approuver ce chemin. Je me tiendrai à l'écart de ce Mortel pour ne pas interférer dans tes desseins le concernant . Y a t'il quelque chose d'autre dans laquelle je puis t'assister?

L'ange noir reçut les félicitations de son pair avec une fierté toute déplacée. Les plumes du col noir frémirent et un rire cristallin, bien moins effrayant que le précédent, s'échappa des lèvres noires de la harpie. Sévir face à Puantrus, disait le Créateur ? Ce fut une nouvelle qui ne manqua pas d'éveiller l'imaginaire de la bête onirique, qui se plut aussitôt à imaginer sa propre mission engagée plus rapidement que prévu. Combien de temps restait-il avant que les Mortels ne perdent espoir et ne se résolvent naturellement à se tourner vers sa main tendue ?

La maladie était et resterait le plus ultime catalyseur du désespoir et, par extension, du noble sentiment auquel il s'opposait. D'amour et d'excitation, il aurait voulu prendre dans ses bras son parent mais savait que malgré ce moment partagé, les yeux indiscrets se tapissaient encore dans l'ombre, cherchant à déceler derrière le voile illusoire le plus menu détail, la moindre parcelle d'informations permettant au Démon de rendre l'accord caduc. Rêve se garda donc d'exprimer sa joie d'une façon trop ostentatoire et se contenta de répondre pensivement :

"Et ta fierté m'honore. Qu'aurais-je accompli sans tes précieux conseils ?"

Question rhétorique. Le Marchand de Sable savait pertinemment ce qu'il devait à son sculpteur. Comment avait-il pu douter des bienfaits d'une telle ascension ? Il lui sembla, à cette réflexion, qu'une éternité s'était écoulée depuis sa renaissance. Par les Hommes et les mystères de leur civilisation, il avait tant appris, tant découvert. S'il était bien loin d'avoir retrouvé sur le Songe son influence passée, les prouesses bien réelles qu'il accomplissait aujourd'hui lui apparaissaient chaque jour plus grandioses et fabuleuses que celles des jours passés. Halewyn vint à nouveau offrir son aide bienvenue, chose qu'accueillit la bête chimérique avec enthousiasme. D'un ton enjoué, il lui dit :

"L'une de mes fidèles est une puissante guerrière issue des Abysses. Je l'ai envoyée en Shoumeï pour y affaiblir l'influence du Nouvel Ordre par la voie du sang. J'y enverrai bientôt une prêtresse, maitresse des ombres et grande exploratrice, afin d'y prêcher ma parole. Ce dont j'ai besoin aujourd'hui est d'une paire d'yeux avisés."

Pointant d'un geste furtif du menton la position supposée de l'infiltré qui peinait à les observer, Rêve compléta :

"Saurais-tu, parent adoré, identifier les impériaux qui envoient ces curieux pour m'épier sans relâche ? S'ils tiennent tant à m'observer, j'aimerais pouvoir les rencontrer pour les jauger moi-même et connaître ainsi leurs intentions, ou au moins parvenir à les localiser. La Griffe, bien évidemment, me refuserait ces informations si je les lui demandais."

Lui vint alors un souvenir. Un aspect essentiel de la rencontre avec le militaire que Rêve se trouva idiot d'avoir ainsi omis, sans doute par empressement ou par pure excitation.

"Sais-tu d'ailleurs, créateur, que la Griffe opère en compagnie de l'une de nos consœurs ? On la nomme "Ombre" et c'est justement dans les pas de Deydreus Fictilem qu'elle évolue. Elle m'a protégé de lui, ou du moins l'a-t-elle prétendu. Je ne connais rien de ses réelles intentions, ni même de son véritable pouvoir. Ce que je sais en revanche, c'est qu'elle dépend de cet homme d'une manière ou d'une autre..."

Au delà des mystères qu'elle avait suscité, l'Ombre n'avait pas laissé indifférent son onirique confrère. C'était d'ailleurs avec une joie non-dissimulée qu'il avait évoqué son histoire.

Le corbeau frottait de nouveau sa tête en este d'affection et de soutien.

*Je n'ai pas besoin de l'interroger pour savoir.... Selon la chronologie et les circonstances de sa présence, je dirais que c'est la Griffe qui a laissé un Mortel derrière pour s'assurer que tu tienne ton engagement. Ou l'Oreille qui fait son boulot et qui surveille ton futur champion ou toi... Ils sont cinq ministres. La Griffe, L'Oreille, L'Esprit, le Coeur et un autre qui m'échappe en ce moment. Sous les ordres de Tensai Ryssen. Les Rêveurs doivent d'ailleurs déjà t'avoir informé à son sujet. Pour leur localisation, je ne saurais dire. Ils doivent beaucoup bouger... mais il y a toujours la capitale, cependant, ne t'y présente pas tout de suite. Il pourrait prendre cela comme une rupture de pacte et une agression*

A la mention de l'Ombre, le corvidé se rappelle qu'iel doit jouer au corbeau et commence à lancer quelques crôassements vites repris par les autres. Et si Rêves était joie, le Maitre Mıroir était plus prudent. Ombre était un autre angle par lequel Rêves pourrait corrompre Deydrus... Ou être l'instrument de sa perte. C'était difficile à dire, votre succube favorite évitant comme la peste ses confrères domestiqués. Un démon qui dépend d'un Mortel était une bombe à retardement, un danger potentiel autant pour sa race que pour son ''maitre''

Dans un cas comme dans l'autre....

*Et cette Ombre , sait t'elle qui nous sommes?Connait t'elle le Sanctuaire? Parce que je ne fais pas confiance à tous pour sa localisation, juste à toi et notre soeur pour le moment. *

Effectivement si l'Ombre savait, ca impliquait un énième déménagement de ses fidèles. Ils commencaient à se plaire là bas et les pierres extirpés du sanctuaire de Lilith qu'ils creusaient à coup de magie servaient à monter un rempart autour du village. D'ailleurs d'autres civils, paysans et ex militaires en quête de protection venaient s'y établir et les marchands commencaient à faire le détour. Si iel avait bien compris, il y avait un truc minier qu'ils avaient découverts... Parfait, ca justifiait les excavations. Les démonistes répandaient discrètement la foi en eux et le besoin de garder le culte secret. Rêves opérait en toute ouverture.

Et Halewyn savait que Son Marchand de Sable allait réussir. La question était plutôt celle du délai. Mais après tout, qu'est ce que le temps quand on est immortel?

* Fils-fille... Déṡire tu que cet endroit continue de te refléter ou le laisse tu tomber dans l'oubli? *

La Griffe, le Coeur... Des noms sur lesquels Rêve pouvait sans mal poser visages, intentions et fantasmes. Tagar souhaitait voler et maîtriser les arcanes, son désir de puissance exposé sans retenue pouvait tout à fait être exploité, mais le Démon doutait toutefois de pouvoir lui faire des promesses suffisamment alléchantes pour le détourner de sa fidélité à l'Empire. La Griffe en revanche était zélée, animée par le souhait de voir ses griffes se refermer sur le corps et l'esprit de chaque habitant des terres Reikoises. L'Esprit était un parfait inconnu mais l'Oreille, en revanche, constituait donc ce fameux œil impérieux qui observait les faits et gestes du Démon corrupteur. C'était cet individu qui éveillait le plus la curiosité et la créativité de la chimère onirique.

"Merci pour ces précieuses informations. Je tâcherai de rencontrer, en temps et en heure, cette fameuse Oreille. Il sera ardu cependant de l'identifier, si c'est dans les ombres qu'elle se prélasse."

L'allusion à l'existence de l'Ombre sembla grandement attirer l'attention de son parent déguisé, et ce fut donc sans plus attendre qu'il demanda naturellement des précisions quant au confrère nouvellement découvert, ce avec une méfiance tout à fait compréhensible en vue des risques conséquents que représentaient son attache avec la Griffe. Rêve, aussi désinvolte qu'à son habitude, tâcha de rassurer Halewyn tant par les mots que par sa gestuelle tranquille et se mit à nouveau à arpenter les cendres à la recherches d'autres trésors. Ce faisant, il chanta :

"Je n'en ai même pas eu l'occasion. Du fait du danger qui planait tant sur mes apprentis que sur moi-même, notre conversation a été lapidaire, bien trop à mon goût d'ailleurs."

Puis, tâchant de se montrer un peu plus clair, il reprit après une brève interruption :

"Et puis... je n'aurais pas pris une telle liberté sans ton consentement. L'emprise de la Griffe s'étend peut être au delà de ses propres frontières."

Ce souci passager enfin écarté, la bête issue du Songe passa ses doigts effilés dans les cheveux grisâtres de l'une des apparitions masquées. Au rythme des carillons, la silhouette confuse de Rêve changeait légèrement et sa peau parsemée de volutes d'ombre semblait se mouvoir au gré de ses trop nombreuses idées. La question qui avait suivi méritait réflexion mais Rêve, après avoir établi les risques que comportaient une telle manœuvre, décida qu'il valait mieux se montrer précautionneux et raisonnable. Ce fut donc après avoir doucement secoué la tête en signe de refus qu'il compléta :

"C'est une provocation que l'Empire pourrait prendre trop à cœur. Ne laissons derrière nous aucune trace tangible de notre passage en ces lieux. Les souvenirs et les rêves qu'il a suscité se suffisent à eux-mêmes. Je n'oublierai pas ce pan de mon histoire et si je viens à m'éteindre, c'est à toi que j'en confierai les mémoires."

C'était certes très sordide de se préparer à une telle éventualité, mais la froide sagesse de la créature la poussait toutefois à envisager cette triste issue.

"Laissons la mort témoigner silencieusement de ce qu'ont subi ces âmes."

Son petit Marchand de Sable apprenait vite, son esprit onirique se transformait au contact des hommes. Voilà un an à peine, les notions de risques, de calculs, de machinations, de patience aurait été hors de sa portée. Maintenant, il avait une certaine indépendance et une finesse de réflexion qui ferait rougir nombres de stratèges. En plus de connaitre les risques.
Il ui faisait confiance. C'était un état de fait indubitable. Malgré leur pacte, Halewyn n'avait jamais cherché à empiéter ou à contrecarrer les plans du Maitre des Songes. Plutôt, iel orientait les miroirs de la perspective de facon à éclairer efficacement d'autres options.

Le fait étant que ni l'un ni l'autre n'avait quelconque gain à gagner d'une dissension. Crôassant affectueusement, Grand corbeau frotta encore sa belle tête tout contre celle de son fils-fille.

* Ne t'inquiètes pas, si tu retournes dans les Abysses, tu n'auras qu'à trouver mes songes et je te ramènerai. Mais non sans avoir un peu torturé le monde onirique de l'impudent qui aura abusé de toi. Je te demanderai juste que, si tu apprends son nom, de me le communiquer. Je ferai des recherches *

Prenant soudainement son envol, le corvidé alla picorer un truc brillant au sol, àa moitié enseveli sous les décombres. Clignant de l,oeil rubis, iel vit un médaillon discret en argent, métal lunaire reflétant le monde de la nuit, sur lequel était ouvragé un symbole délicieux. Celui qu'iel reconnu aussitpot, même sans ne serais ce que ne l'avoir jamais vu, comme celui de son µÆrchand de Sables.

Sı un oiseau pouvait sourire, en ce moment, on pourrait le voir gravé sur le faciès du piaf qui receuilli le colier avec délicatesse dans son grand bec avant de revenir voir le maitre des lieux. Tout fier, croassant de concert avec les autres, iel déposa son offrande dans la grande patte griffue de Rêves avant de battre des ailes avec vigueur.

* Si tu as terminé, nous pourrions voler un peu cette nuit. Cela fais bien longtemps que nous ne sommes pas déliés les ailes ensembles. Et ces yeux et ces oreilles m'ennuient....  *

Comme si les mortels pouvaient les arrêter. Peut-être physiquement.... Halewyn a soigneusement consigné le rituel de sa naissance cependant. Donc, comme les autres, la Mort définitive n'est plus un problène, le seul truc c'est comme on ne rêve jamais deux fois exactement de la même chose, qu'on ne commet jamais exactement deux fois la même Violence, ou la même vengeance, iel sait qu'iel va perdre une partie de iel-même dans le processus.  Raison de plus de ne pas faire de conneries hein?

"Je n'y manquerai pas."

C'était un cadeau que méritait amplement son parent, après tout. Cette fameuse "Oreille" s'était posée contre son mur, ne concevant pas sans doute qu'elle serait écoutée en retour. Inévitablement, attirer l'attention du Prince des Songes ne laissait que rarement indifférent. Rêve n'attendait plus que cette rencontre avec ce mystérieux personnage drapé d'ombre mais tâchait toutefois de ne pas se montrer impatient, fort de sa sagesse acquise durement au court de ses innombrables pérégrinations sur le plan matériel.

La bête onirique claqua des doigts et poussa enfin un hululement aux échos éthérés qui sembla distordre, tout autour de sa silhouette, la réalité elle-même. Les figures dansantes se tournèrent vers l'observateur indésirable, le saluèrent les unes après les autres dans une fantomatique révérence et disparurent doucement, se fondant dans l'obscurité nocturne pour redonner au village brûlé toute sa sordide apparence. Les rêves disparurent et le silence refit surface. Il n'y avait plus ici que des cendres et les vestiges d'une histoire bien trop belle pour y avoir sa place. Le Reike, tôt ou tard, apprendrait à nouveau comment songer librement.

Par télépathie, le corbeau aux iris de rubis communiqua au Marchand de Sable sa belle invitation. Anticipant cette dernière avec une joie non-dissimulée, La créature fantasmée laissa les plumes de son col se dresser dans un léger frissonnement et son sourire s'agrandit à nouveau. Lorsque Halewyn lui tendit le pendentif sur lequel était orné son propre sigle, il en caressa la surface avec nostalgie mais cette douce attention fit naître en lui un espoir nouveau. Il était bon d'être soutenu dans ces temps difficile. S'adressant au volatile, il lui dit :

"Quelle charmante idée. Cela m'a tant manqué."

Les ailes immenses de la bête se déployèrent et, dans un mouvement aussi élégant que tranquille, il projeta en l'air son compagnon volant pour lui conférer un peu d'élan avant de se joindre à lui dans un battement bruyant qui souleva tout autour un épais nuage de cendres et de poussière. Se propulsant instantanément à une hauteur vertigineuse, il fut rejoint rapidement par une poignée d'oiseaux noirs qui croassèrent tous ensemble pour indiquer aux Démons qu'ils s'invitaient à la fête. Rêve tourna la tête et les accueillit en amis en murmurant dans la langue des bêtes.

Si le spectacle pouvait sembler beau, il y eut toutefois au loin un esprit avisé qui ne le vit pas de cet œil. Dans cette surréaliste migration d'oiseaux de mauvaise augure, les créatures fantasmagoriques disparaissaient dans l'obscurité en laissant derrière elles une pluie de plumes étincelantes en guise d'ultime offrande à la terre. Aussi inquiété par la situation que déçu de ne pas avoir pu obtenir davantage d'information de la part des chimères démoniaques réunies ici, l'espion reikois reprit enfin sa forme d'origine, analysant avec un sérieux militaire les éléments laissés par la créature onirique.

Cela ne présageait rien de bon.