Les jours se suivaient et se ressemblaient pour la plupart depuis mon retour de Benedictus, je me plongeais voir même me noyais dans le labeur pour éviter de penser trop souvent ou réfléchir tout simplement. Je me contentais de réaliser les tâches du quotidien en cette période hivernale.

Décembre était bien installé et la neige avec lui s'imposait presque partout dans l'ancien Shoumeï. Blanche, pure, apaisante, elle apportait avec son froid mordant un sentiment de liberté pour moi. Je restais de longues heures dehors par moments la nuit venue pour engourdir tant mon corps que mon esprit et cela fonctionnait, quand je rentrais, transie de froid j'avais tellement besoin d'énergie pour retrouver une température corporelle normale que je pouvais ensuite dormir un peu sans songe. Ne pas rêver, ne pas réfléchir, c'était mon quotidien depuis que la corruption de l'Arbre Monde m'avait frappée. J'appliquais avec soin chaque jour le baume que m'avait confectionné Cyradil, parfois quand je massais les chairs encore un peu enflammées j'avais l'impression de pouvoir ressentir sa présence apaisante à mes côtés.

Quelques jours auparavant j'avais eu une frôle de mésaventure avec des maeliens que je connaissais, ils avaient décidé d'utiliser les armes des reikois contre eux et de transformer en marionnettes des hommes et des femmes pour servir leurs intérêts indépendantistes.  Si je souhaitais voir renaître le Shoumeï je ne voulais pas de ce genre de méthodes. J'avais croisé la route d'un Reikois lors de ces péripéties, Aylan, un mystère en un sens cet homme. Ensemble nous étions venus à bout de ces hommes mal avisés mais... l'un d'entre eux s'était avéré n'être qu'un clone et cela était des plus frustrants de ne pas avoir vaincu le cerveau derrrière tout cela. Par principe j'avais mémorisé son empreinte et j'avais du renoncer à la poursuivre, la portée de mon don n'excédant pas quelques kilomètres j'aurais du jouer les pisteurs ce que je n'étais pas. Aylan me dit partir sur sa trace et qu'il me préviendrait si il le trouvait, que je puisse confirmer ses dires et terminer le travail à ses côtés ? Peut-être n'y avait-il pas que cela?  *sombre crétine borgne, c'est la moitié de ton cerveau que t'as perdu en t'arrachant un oeil non?*

J'avais repris tant bien que mal mes activités, et je fus surprise de recevoir un message d'Aylan, me disant qu'il avait trouvé la piste de l'homme dans les contreforts des montagnes bordant Benedictus. Le destin et les divins se moquaient de moi vraiment. Aurais-je le courage de retourner là-bas encore une fois? Après ce que j'avais vécu et vu la fragilité actuelle de mon esprit qui me semblait prêt à basculer et sombrer pleinement dans la folie... N'entendais-je pas un chant sombre et puissant emplir mon esprit et mes songes de plus en plus souvent?

Eh bien croyez le ou non, la folie ou autre chose m'a poussé à y retourner. J'étais partie avec Ruyven et nous nous étions arrêtés au dernier village encore habités avant le lieu visé. J'avais refusé qu'il me suive plus loin et par magie ou peut-être parce qu'il craignait de me voir devenir hystérique il accepta de me laisser partir seule, il me donnait une journée, vint quatre heures pas une de plus ensuite il me rejoindrait et me ramènerait pas la peau du cou au manoir au besoin.

J'avais laissé mon cheval au village, habillée chaudement, avec un sac à dos contenant du matériel de survie basique, corde, grappin, nourriture séchée, vêtements de rechange, briquet d'amadou et autres joyeusetés trop lourde pour moi je me suis lancée dès l'aube vers les montagnes. Je connaissais le chemin mais ce qui me vrillait les tripes c'était la peur de ressentir l'Arbre Monde et sa corruption ici.

La couche de neige était épaisse et l'avancée rude. Néanmoins j'étais d'un naturel têtu et il était hors de question que j'abandonne.... * oui tu as raison de courir à la mort rejoindre un inconnu dans une montagne pleine d'horreurs * Je secouais la tête pour ordonner mes pensées mais c'était peine perdue, les voix étaient omniprésentes et risquaient de me rendre toute réflexion compliquée.

Il me restait encore une bonne heure de marche et je remarquais à ce moment là, que le calme de la montagne sonnait faux. La plupart des animaux hibernaient probablement mais pas tous, je n'entendais que le bruit de mes bottes dans la neige et ma respiration qui se faisait plus forte à mesure que l'effort était dur.

Après ce qui me paru durer une éternité, j'arrivais au point de rencontre et je fus surprise de percevoir au loin deux silhouettes masculines. Je restais quelques instants en retrait et concentrais ma mana pour m'assurer du fait qu'Aylan était un des deux, mais pouvais-je lui faire confiance?  Mes dons de senseurs me permirent de confirmer qu'il était présent et j'en profitais pour mémoriser la seconde empreinte à ses côtés. Je m'avançais donc lentement mais surement et surtout j'avais concentré ma mana, prête à la faire fondre sur eux si je percevais le moindre sentiment d'animosité à mon égard.

Je ne me cachais pas, j'avançais à découvert dans la neige, tâche sombre visible de loin malgré les fourrures qui bordaient le col de mon manteau de peau. Je n'avais pas de vie exceptionnelle mais en approchant plus je fus assez désarçonnée de voir les deux hommes avec des sortes de masque, était-ce une habitude reikoise pour affronter notre froid? Je n'en savais rien mais je trouvais ça plutôt étrange. Ils étaient au pied d'un applomb rocheux qui abritait une énorme porte fermée visiblement, la fameuse mine.

Je poussais plus près, ils étaient maintenant à une dizaine de mètres et je ne percevais pas d'agressivité à mon égard, juste de la méfiance peut-être dur de le savoir. C'était tellement étrange comme situation que je ne savais pas trop comment me comporter en un sens. Je restais donc à distance pour le moment.

- Vous m'attendiez j'imagine? Je pensais vous trouver seul Aylan.

Je laissais mes dons sonder les deux hommes et aussi fiable que puissent être ces derniers je pouvais toujours me tromper, des gens capables de dissimuler leurs émotions cela pouvait exister non? Surtout chez les psychopathes en fait. Je me décidais donc à avancer vers eux, la paume de ma main droite concentrant toujours ma mana, cette dernière luisant et les gouttes d'eau tournant autour de ma main.

- Vous m'avez demandé de vous aider alors me voici.  Je vous déconseille de tenter quoi que ce soit contre moi cependant.

Autant être claire, il restait Reikois et je ne savais pas si je pouvais leur faire confiance.
A ce moment là, arrivant en face, d'une direction opposée donc je sentis une nouvelle empreinte magique, un piège?
Je stoppais mon avancée et dardais mon regard plus loin, le visage fermé.

- Dites au troisième larron de stopper son avancée.


CENDRES

Je ne percevais pas vraiment ce qu’il se tramait de loin, j’avais senti la présence d’une signature supplémentaire rien de plus mais cela suffisait à me rendre méfiante forcément. Tendue, prête à bondir comme un fauve, prête à défendre ma vie tout simplement j’observais du mieux que je pouvais mais la perte d’un oeil quelques semaines à peine auparavant rendait cet exercice compliqué pour moi. Je m’étais adaptée bien entendu mais parfois le champ de vision amputé me jouait des tours.

J’étudiais les signatures quand une chose surprenante se passa, la signature de l’homme accompagnant Aylan se manifesta derrière la dernière personne et l’instant qui suivi… je ne comprenais pas de prime abord mais je finis par analyser les faits, il venait de se téléporter. Ils étaient donc deux hors de ma portée et seul Aylan restait dans mon champ de vision. Pas plus rassurée pour autant je restais sur mes gardes, cela pouvait être un traquenard et lui servait de caution pour un piège.

Aylan me répondit et je ne décelais pas de mensonge dans ses propos, mais sa vérité pouvait être biaisée je le savais. Donc l’homme était son ami, soit, cela semblait cohérent dans le fond. Il ne semblait pas agressif à mon encontre et je me dis qu’il ne devait pas avoir fait tout ça pour me piéger c'était stupide. Par contre je ne compris pas du tout ce dont il me parlait.

- De Hengebach? On parle du vieux Baron Lorenzo De Hengebach de Benedictus ? La mine lui appartient c'est ce que vous me dites Aylan? Mais en quoi dites moi c'est une bonne coïncidence?

J'avais relâché la pression sur ma magie et j'avais décidé de franchir les mètres qui me séparaient du Reikois en armure. Je relevais même les mains en signe de paix, j'acceptais ces paroles même si je ne comprenais pas franchement leur sens.

- Pour tout vous avouer je ne connais la famille Hengebach que de nom et encore cela d'avant la guerre, un vieux Baron fortuné, propriétaire de plusieurs mines qui auraient fait sa fortune. Un diviniste reconnu de Benedictus, vivant ou mort je n'en sais rien. Vous parlez d'une femme cependant, il avait une fille c'est ce que vous sous-entendez?

Dans tous les cas, fille ou pas, je ne connaissais pas cette personne. La suite par contre me fit froncer le nez, comment ça tant que je coopère.

- Dites donc Aylan, il me semble que ma coopération n'est pas à remettre en doute, nous nous sommes mutuellement aidés lors de notre rencontre et sans condition ou quoi que ce soit d'autre. Je ne suis pas du genre à marchander ma sécurité, je veux pouvoir avoir confiance en vous tout court ! Si votre... protection est conditionnelle dites moi quels sont les termes que je décide si oui ou non je veux vous aider.

Nous partions d'un mauvais pied visiblement et j'étais plutôt méfiante depuis Benedictus et sa proximité amplifiait les voix dans mon esprit qui me murmuraient joyeusement que j'allais me faire avoir dans les grandes largeurs par cet Appolon Reikois. Est-ce que je lui devais quelque chose vraiment? J'étais venue de bonne volonté parce qu'il avait retrouvé la trace de celui que nous traquions tout simplement, cela devrait suffire non? Renfrognée, je restais mutique quelques longues secondes qui me servaient en réalité à tenter de faire taire les voix trop sonores. Je fronçais les sourcils et en un geste trop récurrent ces derniers temps je me frottais les tempes, comme si cela pouvait changer quoi que ce soit.

Inspirant profondément je rivais mon oeil valide sur le visage d'Aylan et me forçais à sourire, oui oui je changeais d'humeur comme je respirais, petit souci que je ne parvenais à gérer.

- J'ai senti la présence de notre homme, il est passé ici il y a peu, je ne peux sentir derrière cette lourde porte, pour savoir si il est rentré il faudra l'ouvrir je ne pourrai confirmer sa présence qu'à ce moment là, mais il n'y a qu'une trace extérieure. Il est venu et est entré ou il est reparti en empruntant la même route ou... il s'est téléporté ailleurs, voilà ce que je peux dire actuellement.

Tournant la tête vers les deux silhouettes au loin je fis un geste de paix, paumes ouvertes et souriante, accueillante, adieu le visage fermé.

- Approchez je ne compte pas vous agresser, je vais... coopérer !

Etais-je soupe au lait? Totalement oui.


CENDRES

J’attendais des réponses qui semblaient difficiles à fournir mais en même temps je voyais les deux autres silhouettes qui s’avançaient vers nous. Si l’homme était un parfait étranger, la silhouette féminine avait un je ne sais quoi de connu. Sans que je comprenne bien pourquoi je sentis mes poils se dresser sur mes bras, pas que je courrai le moindre danger ce n’était pas du tout cela non, c’était autre chose. En un même temps mon ventre se nouait, c’était incompréhensible.

Mon regard quitta Aylan pour me concentrer sur les deux autres personnes. J’étais totalement perdue pour le coup.
Quand ils furent à ma hauteur j’étais interdite, sous le choc littéralement. J’entendis les paroles de l’homme et je les ai écoutées assurément mais je n’étais pas réellement présente.

- Plaisir partagé monsieur?

Enfin j’avais tout de même noté et entendu qu’il ne se présentait pas du tout, il savait qui j’étais mais moi je ne savais rien de lui. Je n’étais pas la plus intelligente qui fut mais je n’étais pas sotte non plus, Aylan n’était pas qu’un simple tatoueur à n’en pas douter et son ami… Cela attendrait plus tard, dans le fond cela ne changeait à la raison de ma présence. J’étais ici parce qu’un homme avait tenté de me tuer et que cet homme était encore en vie et qu’il servait une cause qui me déplaisait car elle était source de chaos et de désordre à Mael.

Néanmoins je n'avais pas encore bougé c’est que je n’osais pas. Mon regard n’avait que peu étudié le nouvel arrivant, il était inexorablement attiré par la femme à ses côtés, la Dame de Hengebach… Je n’avais pas menti, je ne la connaissais pas, sous ce nom du moins, quand elle avait été forcée de quitter précipitamment l’Académie de Mael elle s’appelait Leonora Von Keyzeberg.

J’ouvris la bouche mais nul son ne sortit au début. Les mots me semblaient faibles par rapport à ce que je ressentais en cet instant. Je la pensais morte, détruite avec Benedictus en réalité ou pire… Elle n’avait jamais répondu aux courriers que j’avais envoyé chez ses parents à son attention, j’ai cru qu’elle avait tiré un trait sur le passé, sur moi, notre amitié… J’avais été triste, déçue.

Je n'avais pas encore acquis de technique de senseur lors de mes études et je n'avais pas pu mémoriser son empreinte magique mais j'avais la certitude que c'était bien elle. Dans le maelstrom des émotions qui parcouraient mon corps et des questions de mon esprit, me vint la réponse. Je franchis les pas qui me séparaient d'elle et même si elle pouvait marquer un mouvement de recul je me rapprochais pour la prendre dans mes bras. Plus grande qu'elle je la serrai avec force, était-elle réelle, mes voix me jouaient-elles maintenant des tours visuels? J'avais besoin de la sentir près de moi. Et j'eus la confirmation. Elle portait les mêmes senteurs que par le passé. Je me retins de pleurer avec difficulté mais ce n'était ni le lieu ni le moment je le savais *pourtant tu es faible, tu vas te laisser aller, tu vas perdre pied d'ici peu et te laisser déborder par tes émotions, tu ne sais plus les contrôler ma pauvre fille*

- Je te croyais morte et perdue à jamais.

Je ne pus rien ajouter, tout était dit. Je reculais pour l'observer enfin, elle avait changé, elle était sûre d'elle, droite, toujours aussi fière mais dans le bon sens, elle connaissait sa valeur et le monde ne l'effrayait pas, c'était elle la meneuse, moi la suiveuse durant nos années en commun. Elle avait un caractère de frondeuse et j'avais suivi ses pas sans discrétion, et elle avait toujours eu un talent inné pour disparaitre quand les ennuis approchaient contrairement à moi, mais... je n'étais jamais punie, j'avais toujours su amadouer les professeurs ou surveillants, j'étais l'innocence incarnée, je ne voulais pas faire de mauvaises choses... Mais le soir venu quand nous nous retrouvions dans une de nos chambres nous pouvions en parler et en rire toute la nuit durant de nos gentilles escapades ou écarts de conduite. C'étaient les années les plus insouciantes de ma vie celles partagées avec Leo.

- Tu m'as l'air en forme... Dame de Hengebach ?

Je connaissais ce titre mais dans mon esprit, le titulaire de ce titre était vieux et sans descendance avant la guerre, était-ce possible qu'elle fut vendue par son père à quelqu'un pouvant être son propre grand-père? J'en frissonnais. Nous avions tant à nous dire mais je savais que ce n'était pas le moment hélas. Alors je reposais mon regard sur l'homme qui l'accompagnait.

- L'homme que nous cherchons est dans ces mines, je sens sa présence jusqu'ici mais mes dons ne franchissent pas les obstacles naturels ou magiques. Il nous faut entrer pour que je vous serve de guide ensuite. Je n'ai jamais entendu parler de cette secte, le fléau de l'éternité, est-elle récente? Sévit-elle ici près de Benedictus ou un peu partout vu que nous avons croisé ce scélérat à Mael avec Aylan.

Mon regard glissa sur Leo, si ces mines lui appartenaient, elle devait savoir comment faire pour entrer non?


CENDRES