Ni glapissement ni piaillement, seulement un profond et long ronronnement témoignant de l'esprit d'anticipation de la créature.

Les chaines se délièrent, les clapets s'ouvrirent et, dans un serpentement bruyant, la queue de la bête s'agita tandis qu'une vive lueur s'en emparait, illuminant le sol d'une arène crasseuse dans laquelle d'innombrables saccages s'étaient déroulés avant celui-ci. Les griffes de la petite monstruosité s'étendent dans une série de claquements puis grattent le sol pour en découvrir la texture ainsi que la solidité. Du sable surmontant de la roche, le tout entouré d'acier. Aucune alternative en dehors d'un inévitable combat qui approchait à grands pas, ce au son d'un gong faisant office de cor de guerre.




Les grilles séparant le fauve des condamnés s'ouvrirent et la muselière, dernier lien permettant d'empêcher le sauvageon de déverser ses flammes purificatrices, se délia à son tour. Les prunelles noires et luisantes de Klak-Klak se portèrent un instant sur le terrible diable qui était responsable de sa captivité et qui, pour une mystique raison, l'effrayait au point de le contraindre temporairement à l'obéissance. Plus insouciant que véritablement idiot, Klak-Klak savait mettre de côté lorsque la situation l'exigeait sa curiosité mal placé et ses habituelles pitreries. La dernière chaîne liant Klak-Klak au plafond fut conservée, lui intimant tout de même sa condition de prisonnier.

Les malfrats prisonniers s'approchent et, sans même accorder au premier venu le privilège d'une bestiale mise en garde, le petit être déverrouille sa mâchoire élastique en émettant un sourd grondement. Sa queue frétilla en un claquement abrupt, sa gorge s'illumina alors que jaillissait les prémices d'un torrent ardent et, dans un grondement tonitruant, un geyser de feu naquit depuis la gueule du fauve miniature. Arrosé par la langue de feu de la Salamandre, l'homme armé d'une pauvre épée voulut se jeter sur le côté pour esquiver le brasier tournoyant mais malgré ses réflexes, il essuya une brûlure aux deux jambes qui le fit hurler, perdre toute contenance, puis qui le força à s'allonger par terre pour tenter maladroitement d'étouffer le feu qui lui cuisait les mollets.

Le jet brûlant cessa l'espace d'une seconde, le temps que le canon vivant se réoriente, puis il reprit avec cette même ferveur guerrière pour asperger cette fois-ci le visage du malheureux dont les cris étranglés ne résonnèrent qu'un bref instant. Malfrats ou non, nul n'avait envie de s'exposer à une mort aussi injuste et douloureuse que celle-ci alors la plupart des voyous, plutôt que d'affronter l'animal de front, lâchèrent leurs armes et entreprirent maladroitement de s'agripper aux parois de l'arène pour en escalader les murs escarpés tout en implorant dans les larmes et la terreur le pardon du commanditaire démoniaque de cette mise à mort barbare.

Leurs pleurs tombèrent dans de bien sourdes esgourdes et alors que le possédé les toisait avec froideur et vilénie, Klak-Klak fit précisément ce pourquoi il avait été dompté en calcinant plusieurs fuyards d'un balayage flamboyant. Les cadavres fondus tombèrent le long des murs dans une ultime éructation et l'odeur de marron chaud signant le passage de la Salamandre vint à peine couvrir celle des cadavres brûlés.

Un second signal fut donné et d'autres accoururent, mais ceux-ci se firent bien plus entreprenants que leurs prédécesseurs. Le feu ne pouvait gagner le sable mais la vue des combattants brûlés vifs par la bête suffisaient à convaincre les nouveaux venus que la fuite était tout bonnement inenvisageable. Malgré l'effroi suscité par les cris des quelques survivants de la première vague de bandits, les seconds se jetèrent sur le fauve avec toute la brutalité d'hommes et de femmes désespérés.

Des globes enflammés cueillirent la ligne de front mais d'autres passèrent tout de même, parvenant enfin au corps-à-corps avec le monstre incandescent et portant ainsi les premiers coups. Un bond félin permit à Klak-Klak de s'évader et avec l'agilité de prédateur dont il était doté, il glissa pour ensuite bondir droit sur le visage d'un gaillard situé sur son flanc, ce afin de lui déchiqueter le visage à grands coups de crocs fumants. Les déchirures et les brûlures furent assez pour décourager entièrement cet assaillant mais un autre tenta de profiter de la déconcentration relative du fauve pour le frapper dans le dos. Contre toute attente, Klak-Klak effectua une pirouette et usa de la chaîne qui le sanglait au plafond pour tourner autour des épaules du malheureux, écrasant ainsi son visage sous le métal épais qui l'enserrait. La gueule de la Salamandre s'ouvrit encore et un nouveau torrent de flammes en émana, anéantissant le pauvre homme tout en chauffant l'acier à blanc.

Lorsque l'enveloppe détruite du malheureux s'écroula en s'affinant à mesure qu'elle était carbonisée, Klak-Klak sembla alors réaliser la faiblesse du lien qui le restreignait. Plutôt que de s'en prendre de front aux autres malfrats qui se faisaient témoin du spectacle de l'atroce démise de leur confrère, il continua à cracher sa tornade incandescente droit dans l'acier qui, malgré son poids et son épaisseur, commença inéluctablement à se ramollir. Le maillon ciblé finit par céder et la Salamandre, un peu plus libre de ses mouvements, lâcha un caquètement de satisfaction.

Quelques Limiers s'inquiétèrent de la destruction de la chaîne mais le spectacle continua tout de même sous les regards attentifs des vétérans et du Prévot lui-même. Malgré leur nombre, les prisonniers dépêchés pour venir à bout de Klak-Klak faisaient face à un adversaire qui jouissait plus que quiconque des combats menés dans un environnement aussi limitant. Le feu, tant dangereux que volatile, était dans une arène aussi exiguë une arme que beaucoup auraient jugé imbattable.

Un vieux Limier se pencha vers Cabale et lui glissa sans conviction :

"Vous êtes sûr que c'est une bonne idée ?"

Le diable vint faire cesser le massacre en apparaissant, sans protection aucune, en plein cœur de l'arène ou la bête furieuse s'adonnait au pire. Galvanisée par les précédents meurtres, elle se posta face à cet adversaire qui l'avait tenu en respect par le passé car, même acculée, elle était connue pour son invariable courage. Les yeux écarquillés de Klak-Klak se firent flamboyants et malgré les félicitations reçues par le tortionnaire, le monstre souvent bien bavard resta aussi muet qu'une tombe. Il suffit pourtant d'un petit rien, un soupçon d'attention dans cet océan de chaos et de violence, pour que le souffle court du prédateur ne vienne s'apaiser, la haine cédant place à la curiosité en un battement de cils.

Le cou cerné de poils s'étendit lorsqu'un juteux projectile vola dans sa direction et, avec une agilité formidable, la Salamandre se saisit en plein vol de la pomme qui était envoyée droit dans sa gueule charbonneuse. Les fruits et le sang, seuls aliments contenant de l'eau, mais demeurant capables d'être assimilés par le corps si particulier de l'entité furibonde. Les crocs charbonneux, encore fumants, percèrent la peau de la première pomme offerte dans un chuintement brûlant alors que s'élevait de la gueule du fauve une brume blanchâtre. Le discours du possédé reprit de plus belle mais Klak-Klak, séparé des Hommes par la barrière linguistique, n'en comprit qu'une infime parcelle.

"Bwoochi Pay'dal huegarr."

Ses premiers mots depuis sa descente aux confins des limbes. Pour s'attirer l'affection d'une bête sauvage, la victuaille était un premier pas. La Salamandre, sociable par nature, était dotée d'un faible pour les sucreries et ces dernières avaient tendance à lui faire oublier les traitements déplaisants que lui réservaient les civilisés. La pomme enfin engloutie, Klak-Klak accorda un long regard à l'instrument de mort que le Démon rieur lui offrait et cette fois, son attention fut entièrement captivée. Les oreilles du fauve se tendirent à la verticale et un caquètement de satisfaction s'éleva dans les ténèbres lorsque l'objet dont la léthalité ne faisait aucun doute lui fut offert.

Il accourut pour rattraper la lance qu'on lui donnait, inspectant les détails de cette dernière d'un œil expert tout en prélevant, une par une, les pommes qui avaient été embrochées à l'extrémité. Taillée et forgée avec la barbarie dont il avait lui-même fait sa signature, l'arme formidable qui venait de lui être remise était à la hauteur de son savoir-faire et, tout en mâchonnant les trois offrandes sucrées qu'on venait de lui donner, il se mit à tester d'une main le poids et l'équilibrage de son nouvel outil.

Puis, contrastant avec cette nouvelle source de joie, le bruit significatif de l'eau agitée au cœur d'un contenant de métal lui parvint. Relevant la tête pour apercevoir la nuée d'hommes de l'ombre qui s'étaient attroupés au dessus de lui pour former un cercle de menaces aqueuses, Klak-Klak sentit son petit cœur rater un battement et montra les crocs, tant d'effroi que de stupeur. Il fit claquer ses mâchoires par deux fois, marquant ainsi son évident bellicisme, mais les mots incompréhensibles du possédé lui parvinrent et, sans tout à fait comprendre la nature de ses explications, il vit dans la présence de cet être une salvation certaine.

Tenant fermement la lance entre ses deux pattes avant, Klak-Klak bondit en avant, s'élançant sans hostilité vers le possédé pour venir se loger entre ses jambes. Dissimulé entre les bottes de Séraphin, il poussa une fois encore des feulements désapprobateurs en jetant des regards paniqués aux maître des eaux qui l'encerclait.

Ce diable n'était pas son ami, mais il avait au moins le mérite de ne pas avoir menacé de l'arroser, lui.

Pour Klak-Klak, dont la mémoire était aussi fragile que l'étaient les ailes d'un papillon voletant au gré des vents, les relations évoluaient à une allure dépassant bien souvent l'entendement des mortels. N'éprouvant de la fidélité que pour ceux qui combattaient à ses côtés, il aurait tout à fait pu rejoindre une quelconque meute de Béhémoths et s'il avait continué à survivre seul jusqu'à présent, c'était pour la simple et bonne raison qu'il n'avait jamais eu ni l'opportunité, ni la nécessité, d'agir en groupe. Trop puissant et surtout trop dangereux pour la faune forestière dont il avait toujours été entouré, Klak-Klak n'avait été traité par les bêtes arpentant les jungles républicaines que comme une menace à éviter à tout prix, voir un rival dans les meilleurs cas de figure.

Le masque, bien qu'inconfortable, avait donc été accepté comme une offrande de la part de son allié du moment. Le Diable aux auras curieusement variées pouvait sans doute passer pour le tortionnaire de la Salamandre mais dans l'esprit étriqué du concerné, il était devenu un gardien le protégeant des choses qu'il ne comprenait pas dans cet environnement nouveau, fait de roche épaisse et de métal glacé. Assimilant au fil du temps le concept "d'entraînement", Klak-Klak s'adonnait désormais aux exercices meurtriers que lui imposaient ceux qui composaient sa nouvelle famille avec un certain entrain, malgré l'horreur absolue des actes dont il se rendait responsable lors de ces séances. La moralité de la Salamandre étant ce qu'elle était, elle n'éprouvait ni honte ni remord lorsqu'elle déversait sur des condamnés à mort de véritables geysers de feu.

Un nouveau cadavre cramoisi tomba dans un chuintement étouffé et Klak-Klak, sachant qu'il allait comme d'habitude être récompensé pour sa prouesse guerrière, se mit tout naturellement à tourner sur lui-même en piaillant, poussant des caquètements belliqueux tout en faisant claquer ses mâchoires puissantes pour signifier sans ambiguïté aucune qu'il était prêt pour tuer, encore et encore, ceux que l'on plaçait sur son chemin. Le Possédé s'était quant à lui fait coutumier des monologues incompréhensibles de son plus petit interlocuteur et, comme à chaque fois entre deux massacres, Klak-Klak ne manqua pas de lui porter un caillou qu'il trouvait tout bêtement joli en le gratifiant d'une explication adéquate :

"Sé'keh lapi fo' dé Po'Eldarr nachiwa deski dé. Pasi' fo léki Boom Boom Day'na Damaniqwa ! Eti, Sélbafin ?"

Il abandonna la caillasse à terre, s'en désintéressant aussi vite qu'il s'était fasciné pour elle, puis il bondit à nouveau vers d'autres trésors qui n'avaient de valeur qu'à ses yeux de fouineur. Ce fut à cet instant que le Prévot prit la parole et que Klak-Klak, qui avait appris progressivement une poignée de mots propre à cet univers nouveau, agita son museau en direction des pas lourds d'un nouvel intrus portant avec lui une odeur aussi bizarrement inconnue que familière. Il y avait, derrière cette silhouette colossale qui apparaissait, une part de sang de dragon commune au petit être et au géant.

Klak-Klak abandonna le minuscule morceau d'épaulière brisée qu'il s'apprêtait à présenter à "Sélbafin" et, plaquant ses deux pattes avant contre son torse velu, il demeura silencieux un moment, comme un enfant timide à qui on présente un proche. Analysant ensuite les expressions du Possédé en tournant la tête sur le côté, l'animal comprit instinctivement lorsqu'il ne flaira ni crainte ni sueur qu'il ne s'agissait pas d'un nouvel adversaire, mais d'un second frère de meute. Avec intérêt, il demanda :

"Achi Blud'awa ? Api issi Klak-Klak touh ?"

La queue du monstre incendiaire se mit à frétiller, émettant ainsi le son propre aux serpents à sonnettes. Cela fait, elle gambada vers le nouveau venu puis se redressa en se frottant nerveusement le ventre, ce pour l'accueillir à sa façon en le détaillant à l'aide de ses deux prunelles immenses.

Le colosse s'affaissa sur lui-même et Klak-Klak, comprenant que ce dernier n'avait aucune intention hostile lisible, s'approcha le plus naturellement du monde de quelques pas supplémentaires. Peu timide par nature, courageux par essence, il ne se laissait pas impressionner par la taille démesurée de son vis-à-vis, ayant déjà combattu par le passé des monstres bien plus costauds que ne l'était celui-ci. Le sourire qui apparut sur les lèvres démasquées rassura encore d'un cran la Salamandre et lorsque l'étranger cracha au sol un cercle enflammé, Klak-Klak exulta littéralement.

Se mettant à piailler, puis à pousser des roucoulements curieux, l'être minuscule bondit en cercle autour de la manifestation de la magie de son interlocuteur. Un type capable de maîtriser le feu, en plus de faire partie de la meute du Prévôt, ne pouvait effectivement qu'être un allié. C'était tout du moins ce qu'entrevoyait la créature du fait de sa logique particulièrement étriquée mais pour le moins unique. La question que lui avait posé l'étranger trouva quant à elle une réponse concrète, mais pas nécessairement compréhensible. Après avoir arrêté de sautiller partout, la Salamandre se retourna vers l'homme dragon et lui dit le plus joyeusement du monde :

"Achi ti essé Kun Klak-Klak touh ! Tavi pa la Boom Boom deh foleh a'no ?"

Ne s'offusquant ni d'être incompris, ni d'être partiellement ignoré; Klak-Klak gambada un peu tandis que les adultes échangeaient entre eux et vint ponctuer leurs échanges à l'indéniable gravité en leur tendant occasionnellement des pierres fumantes ou des morceaux de métal relativement pointus. La Salamandre elle-même ne savait pas exactement pour quelle bataille elle préparait les siens avec tant d'ardeur, mais elle avait au moins le mérite de s'adonner à cette organisation nébuleuse avec un entrain certain !

"Lé founaiz duh ouitème taj'."

Comme toujours très sélectif dans les mots qu'il se décidait à retenir, Klak-Klak tâchait de montrer son respect en faisant l'effort de répéter les propos de ceux avec lesquels il entretenait un rapport amical. C'était une marque de respect, d'affection, ainsi que d'une volonté de collaborer; chose qu'il avait déjà démontré durant les nombreux entraînements passés en compagnie du Possédé.

L'excitation finit toutefois par avoir raison du petit être qui ne tarda pas, après tous ces efforts et ces émotions, à trouver que ses paupières se faisaient bien lourdes. Complètement indifférent à la nature des échanges qui se tenaient aux confins du Razkaal, la boule de poils et d'écailles ajusta le masque un peu trop grand pour elle à l'aide de ses pattes avant et vint ensuite, tout naturellement, escalader le pantalon du Prévôt pour ensuite bondir jusqu'à son dos et enfin se lover sur ses épaules où elle décida qu'il était temps de piquer un somme, bien qu'elle eut décidé de conserver un semblant de conscience en cas de sollicitation.