Lancés par-dessus bord. Nous deux.

Nos camarades, dévorés par des pirates.

Ici. Au milieu de nulle part.

Sans assistance d'aucune sorte.

Catapultés comme deux sacs poubelles dans les océans, je traîne avec moi une carcasse endormie tandis que nous étions deux ombres sur le sable, rampant sur le sol brûlant avec toute la retombée des événements. Le souffle haletant, il dégueule également de la bile comme de l'eau salée bue plus tôt face aux pirates dans une bagarre que j'aurais aimé éviter. Ça devait être un sauvetage, face à l'inquiétude d'un Séraphin bien trop en retard pour imaginer une simple complication de voyage. Bigorneau et Saumâtre ont marqué nos vies d'une lame chauffée à blanc, appliquée directement sur nos dermes vulnérables.

À présent, nous sommes en cage avec la solitude comme seule compagnie.

L'île, un morceau de roc perdu au milieu de l'océan, semble cracher au visage de quiconque ose s'en approcher. Les falaises abruptes nous font signe de dégager, menaçant de nous balancer dans les flots en furie dès que nous faisons le moindre faux pas. Sur la plage, il n'y a que des débris, du bois fracassé et des coquillages éventrés qui peuvent déchirer les pieds. Les palmiers, ils ont l'air de dire : "Reculez, bande de tocards", avec leurs troncs épineux et leurs feuilles desséchées. Et cette jungle, c'est comme si X'o-rath en personne l'avait plantée là pour nous barrer la route. Des bestioles venimeuses à chaque putain de coin, et des plantes qui n'ont pas l'air d'être là que pour danser au gré du vent.

Le silence, au lieu de calmer, serre le palpitant. Juste les cris des foutus oiseaux de mer, et le fracas des vagues qui s'abattent sur les roches. Pas âme qui vive à l'horizon, juste lui et moi, et cette île maudite qui nous rappelle à quel point nous sommes dans la merde. Ouais, ici, ce n'est pas une partie de plaisir, c'est l'enfer pur et simple. Cette île ne fait pas de quartier, elle attend simplement, indifférente à la destinée de ceux qui se risquent sur ses rivages.

Manifestement, c'est notre tour.

Mon uniforme de Limier, complètement lacéré par les attaques précédentes, ressemble à un haillon obscur à qui il manque des pièces. Le soleil nous cogne de toutes ses forces, alors rapidement je couvre mes cornes de ma capuche et traîne encore avec moi le Loup Argenté du Razkaal jusqu'à une zone d'ombre plus ou moins sécurisée. Soulevant un palmier couché, je le pose contre un rocher qui va servir de préau naturel, avant de balayer le sol pour ne retrouver que le sable mou de la plage.

Le moment d'examiner les constantes du Prévot est venu.

J'ai un pouls. Ses pupilles ne montrent pas de signe de coma profond. Mes blessures sont en grande majorité résorbées par ma régénération, les autres sont de lourds ecchymoses et d'hématomes sous-duraux impossibles à supporter. Les siennes en revanche doivent être rapidement prises en charge. Cherchant dans ma besace des herbes médicinales, je les écrase sur une pierre avec une autre comme mortier de fortune pour préparer un onguent et commencer une première application sur ses plaies.

« Tiens le coup, Séra. »

Qu'est-ce qui se passe dans sa tête ? Est-ce que ces trois enfoirés démoniaques prennent leur pied à le torturer alors qu'il est inconscient ? Ou alors est-ce que toutes les lumières sont éteintes et il peut enfin profiter d'un repos salvateur ?

« Laissez-le tranquille, juste pour cette fois, cloportes. »

En attendant, le soleil commence à faire son mouvement dans le ciel, et la faim se fait sentir. Restant dans les parages pour avoir un œil sur mon binôme, j'essaie de me concentrer sur l'instant présent et les objectifs qui en découlent : se mettre en sécurité, se remettre d'aplomb, préparer notre sortie, revenir au Razkaal. Il ne faudra pas longtemps pour qu'un groupe de mouettes finisse carbonisé par une déflagration ardente d'une boule de feu projetée par mes soins, et revenir avec six volailles grillées dont je me réserve le droit d'en bouffer quatre et de laisser les deux autres.

Quand la chasse prend fin, le soleil commence à se coucher, les victuailles sont posées sur une feuille de palmier. Viandes et fruits, et noix de coco frappées contre mes cornes pour l'hydratation. La température descend drastiquement, ce qui justifie un joli feu de camp pour nous maintenir au chaud. Espérant que les bonnes odeurs de viandes grillées viennent le réveiller, je commence mon festin, en essayant de ne pas penser à ce qu'il s'est passé.

On ne peut pas forcément gagner contre la lâcheté. En revanche, je sais que la prochaine fois, je serai prêt pour faire en sorte que ces deux pirates finissent face à la justice des hommes. J'observe alors le Cerbère, mes oreilles bercées par les mastications bruyantes d'un repas qui me rappellent ma condition ici, mais qui me permettent de retrouver mes forces.

« Tu n'es pas tout seul. » Que je gronde, d'une voix sécurisante.

Mes yeux partent vers l'horizon, bientôt avalé par l'obscurité, tandis que le sable blanc reflète la lumière du tapis céleste ; un millier d'étoiles et une lune qui nous surveillent comme un immense œil qui ne cligne pas. La journée a été terriblement longue.

Et le sablier continuera de nous mettre à l'épreuve.

Qu'est-ce qu'on se fait chier, quand même.

Mais ça laisse à notre comprenette de faire le point sur notre vie. Voir ce qu'on pourrait changer, oui, ou non. Ça nous renvoie à notre propre existence, et peut-être permettre une conclusion qui nous feront prendre des décisions importantes. Est-ce que je suis bien là où je suis ? Est-ce que je suis bien aligné avec mes principes ? Est-ce que j'avance dans la vie ? Est-ce que ça compte pour mon entourage et mon environnement ?

Est-ce que je suis heureux de le faire.

Toutes ces questions remuent un paquet d'autres, et sans réponses concrètes. Je fais alors la rétrospective de ces dernières années. Le Reike, la défaite contre Ryssen, ma fuite vers la république, mon recrutement avec Séraphin, le mentorat avec Gerbald, l'entraînement que j'ai partagé avec Abraham, les centaines de personnes que j'ai inculpées, abîmées dans la Forteresse. Et maintenant cette escarmouche pirate qui a failli me coûter la vie.

Où en suis-je, dans la mienne ?

Dans les méandres de ma réflexion, mes yeux vont se poser sur le Prévôt, toujours endormi. Son corps récupère, sa respiration est régulière, apaisée. Je n'ai pas le sentiment de voir ses paupières fermées dans la tourmente, pas de murmures ou de spasmes qui indiqueraient que ses démons lui jouent encore des tours. Et alors que j'avise son visage, je remarque un rictus qui n'a rien de malsain. Un sourire qui adoucit mon regard, et qui relâche mes épaules. Il est bien là où il est, et c'est le plus important.

Je me concentre alors sur ma bectance, l'esprit continuant désespérément de trouver une solution. D'abord, il faut explorer l'île, en espérant trouver de l'eau douce, des fruits, des plantes et des matériaux solides pour construire un abri. Je ne suis pas certain qu'on puisse se barrer d'ici en moins de deux jours, ou alors Séraphin me cache des atouts que je n'ai pas encore découverts. Et voir comment créer des signaux de détresse pour essayer d'attirer l'attention d'un navire. En espérant que celui-ci ne dresse pas un pavillon noir avec une tête de mort dessus. Les volailles finissent rapidement dans un petit tas d'os mis sur le côté, accompagnés de quelques trognons de fruit. Rationnant mon eau, je cherche dans les affaires du Prévôt pour lui prendre sa gourde et la porter à ses lèvres pour quelques gorgées.

« Le reste du combat, va falloir te débrouiller. »

La stratégie de lui donner des avoines jusqu'à ce qu'il se réveille n'est peut-être pas la meilleure idée du siècle. Alors en attendant, je me sers de ma corde légère ainsi que des ossements et des coquillages pour étirer une zone sécurisée par des alarmes qui viendront me réveiller à la première intrusion. Adossé sur le rocher qui tient ce palmier couché qui nous abrite de ses feuillages, je fais le guet, durant de longues heures...

Jusqu'à ce que mes yeux se ferment contre ma volonté. Piégé dans l'obscurité de ma vision, mon corps m'invite cordialement à fermer ma gueule et à roupiller une bonne fois pour toutes.

Demain, une nouvelle journée, une nouvelle épreuve.

Coincé ici, encore.

Chiasserie.

Cette odeur de chair brûlée.

Ce sable brûlant, les carcasses de balistes et de catapultes gisant sur l'avant-poste près de Taisen.

Oui, je suis en train de rêver. Encore ce même putain de rêve.

La bataille commence dans un tourbillon de chaos et de fureur. Les cris des combattants, le grondement des catapultes et le sifflement des flèches remplissent l'air alors que nous tenons notre position dans le désert aride près de Taisen. Les flammes crépitent et dansent autour de nous, peignant le paysage d'une teinte rouge sang. On n'a pas de renforts, pas de soutiens, seulement notre détermination à tenir le front. On ne s'est jamais débiné, ce n'est pas aujourd'hui qu'on va le faire.

Je regarde avec horreur alors que les projectiles enflammés s'écrasent sur nos lignes, déchirant nos défenses comme du papier. Shael et Roman sont emportés dans l'embrasement, leurs cris se mêlant au crépitement du feu. Je sens une rage aveugle monter en moi, mais même elle ne peut rien contre la puissance destructrice qui s'abat sur nous.

On va perdre... On est en train de perdre... On a perdu.

Le bruit d'empalement sur les cris gutturaux de mon père résonnent dans ma tête comme un coup de marteau dans le crâne. Ses énormes jambes puissantes s'effondrent au sol. Sa puissante cage thoracique, percée de part en part, est maculée de son sang qui s'échappe de sa bouche dans des éclaboussures grossières. Je me bats comme un possédé, chaque coup de mon épée portant la promesse de vengeance, mais il est trop tard. Les lignes sont rompues, la défaite est imminente. Je crie de frustration, ma voix étouffée par le vacarme de la bataille. La peur et la colère s'entremêlent en moi, totalement impuissant. Une explosion retentit à proximité, secouant le sol sous mes pieds. Un éclair de lumière blanche aveuglante me submerge, et dans un dernier élan de volonté, je me dis qu'il faut que j'en sauve un de plus... Un de plus...

« Que... J'en... Sauve... Un de plus. »

Ma voix bourdonnante me sort de ma torpeur. Lumière aveuglante. Je secoue la tête comme pour reprendre pleinement possession de mes moyens. Le sable, qui réfléchit la lumière du soleil, me poignarde les iris qui ont encore du mal à se remettre de mon cauchemar. Pour en retrouver un autre : cette île. Les ficelles n'ont pas été rompues, pas de bestioles qui se sont approchées cette nuit. Mais à la différence de la veille, des yeux ambrés viennent s'inviter à la fête.

Ceux du possédé. Un rictus me trahit.

« T'es vraiment increvable, hein. Bienvenue en enfer. »

Je me redresse doucement, mais mes douleurs continuent de me torturer, grognant au passage à travers une grimace difficile à contenir. J'avise alors les blessures du Prévôt.

« Ne touche pas à tes plaies, j'y ai mis de l'onguent. »

Je déchire un long pan de ma cape avant de lui tendre.

« Je te laisse panser tout seul comme un grand, ça serait dommage que je te saucissonne et que tu ne puisses plus respirer. » Que j'essaie de plaisanter malgré le calvaire merdique autour de nous.

Le genou enfoncé au sol, je vais mettre une éternité à me lever. Rien à bouger, comme si nous étions dans un tableau dont seuls les protagonistes peuvent avoir le "privilège" de se déplacer. Arrachant une nouvelle feuille de palmier, je commence une tresse pour en faire un panier de fortune, et avec mon odorat, je cherche des fruits comestibles. Il faudra quelques minutes pour en trouver cinq, ainsi que deux plantes à bouffer. Nos gourdes sont encore pleines, c'est la seule bonne nouvelle. Le tout posé sur un rocher, je croise mes bras sous le torse, avisant l'horizon. L'idée de m'envoler avec Séraphin me traverse l'esprit, je déploie mes ailes, en tire une, puis l'autre sous mes yeux pour chercher une quelconque blessure. Deuxième bonne nouvelle : elles sont en état, et si j'étais blessé, ma régénération a fait le travail.

Je finis par croiser mes bras sous le torse.

« Comment te sens-tu ? »

Question rhétorique, mais réponse essentielle si on veut espérer qu'il tienne... Le voyage. S'il se passe ce que je pense, je vais vraiment en baver.

Une nouvelle épreuve, mais on en a vu d'autres, et ça ira.

Le Razkaal est encore debout. Dans un sale état, avec une sale gueule, mais encore debout.

Épargnés par des pirates, mais ce n'est pas cette fausse clémence qui va m'empêcher de les retrouver pour leur mettre la dérouillée de leur vie. Le Razkaal, c'est aussi l'endroit où deux amis se soutiennent malgré le bourbier dans lequel nous sommes. C'est apprécier une main sur l'épaule alors que son vis-à-vis a rapidement deviné qu'il était dans un cauchemar pas agréable. C'est vrai que je ne me suis jamais vraiment arrêté sur mon passé avec Séraphin. Il sait que je suis Reikois, il sait que je suis un guerrier, un combattant et un soldat de nombreuses années d'expérience. Mais qui j'ai perdu, et pourquoi j'étais un rebelle durant la guerre de clans, sont des éléments que je n'ai jamais osé étaler dans une discussion intime.

Je me demande ce qu'il en dirait, s'il savait que j'étais un rebelle qui a imaginé la tête de Ryssen sur une pique, Ayshara épargnée d'avoir été vendue comme une biquette et un Vaenys légitime pour le trône du Reike après son défunt père, décapité sauvagement comme le reste de ses seigneurs. Rien que de remuer cette histoire, j'en ai les mâchoires qui se resserrent.

Mais le passé ne va pas m'aider à me sortir de là. À ses remerciements, je lui offre un simple signe de tête. Parce que je m'en veux. De ne pas avoir fait ce qu'il fallait, et des dizaines de morts sont tombées en plus de cela. Et pour couronner le tout, le captif que Séraphin devait ramener au Razkaal ne sera pas là. L'échec d'une mission, le deuil de beaucoup de morts, la perte de beaucoup de ressources. Définitivement pas le moment pour lui rendre des remerciements. Non, seulement garder le silence pour leur rendre hommage. Mes traits s'adoucissent alors qu'il essaie tant bien que mal de dissimuler son état. Le Loup a encore ses crocs, son regard est encore vif, et ses démons n'ont pas eu raison de lui.

Il est encore fort. Et c'est une bonne nouvelle.

« Content de te retrouver. Tiens encore le coup. »

Avec un élan d'optimisme qui me surprend, je marche alors vers l'horizon, mes bottes s'enfonçant dans le sable chaud tandis que je recouvre mes cornes de ma capuche. Un vent commence à souffler, les vagues bougent avec énergie, les ressacs contre les falaises sont violents, tout est hostile pour les non avertis. Mais il avait raison. L'Existence nous sauve des pirates, ce n'est pas pour nous tuer sur une île, ou alors, je me trompe sur sa volonté. Peut-être qu'un bateau pourrait nous retrouver si on délivre assez de moyens pour pouvoir être repéré à suffisamment de lieux, mais les chances sont infimes.

« On va se sortir de là. » Que je tonne, déterminé.

Avec une énergie nouvelle, c'est des kilos de bois qui sont jetés sur le sable dans la perspective d'allumer un bucher suffisant pour être vu à des lieux d'ici. Si la Ginette est passée par là, d'autres navires le peuvent aussi. En espérant que ces derniers ne seront pas hostiles.

Parce qu'on ne pourra pas encaisser cette attaque, cette fois.

Mais, on va y arriver. On va rentrer chez nous.

Je n'ai pas dit mon dernier mot.

La liberté. Les ailes déployées en grand, Tinder respirait à plein poumon cet air marin dans cet espace infini où le bleu n’avait ni début, ni de fin. Il n’y avait pas de sentiment plus exaltant pour l’oiseau élémentaire après ces millénaires enfermé dans un tombeau. Peu à peu, ses souvenirs de ses précédentes vies qui s’étaient terminées de manière violentes, souvent dans la folie la plus totale, s’atténuaient grâce à cette merveilleuse thérapie qu’était “la liberté”. Mais il lui en faudrait bien plus que ces quelques années passées aux côtés de l’Amiral Fallenswords pour se libérer complètement de ses démons...

Une étrange fumée noire finit par ternir ce beau paysage monochrome et qui rappela au phénix qu’il était également Second Lieutenant sur la Dame Blanche. Un navire en feu peut-être ? Au milieu d’une bataille ? La flottille du Contre-Amiral n’était pas très loin et pouvait peut-être changer le cours des choses. Quelques battements d’ailes plus tard, Tinder put apercevoir enfin l’île d’où s’échappait la fumée. Signal de détresse ou piège tendu par des pirates ? Vandaos avait été très clair lorsqu’il avait anticipé ce genre de trouvailles : de la précaution, la sécurité avant tout autre chose et surtout : pas d'actes héroïques. Des héros, il n'y en a plein les cimetières qu'il disait... Apercevant nettement la plage, l’oiseau de feu fit désormais lentement le tour de l’île afin d’évaluer la situation : celle-ci n’était pas vraiment habitée et aucune flotte pirate ne se cachait dans un recoin : même pas un petit bateau. Une fois le tour terminé, le phénix se rapprocha encore de l’île et examina particulièrement la plage où avait été dressé un immense bûcher et où se dessinait deux silhouettes humanoïdes, l’une bien plus imposante que l’autre.

Le lieutenant Firebirds finit par atterrir à distance respectable des deux humanoïdes, laissant l’immense bûcher en guise de dernière barrière physique. L’oiseau se métamorphosa alors en une jeune femme elfe parcouru par les flammes, comme si le feu lui-même habitait son corps. Cette dernière remarqua rapidement les uniformes des limiers du razkaal, fortement endommagé et la mine plutôt mal en point du Drakyn et de l’humain qui la regardaient désormais.

Second Lieutenant Firebirds de la Marine Républicaine, veuillez décliner vos identités s’il vous plaît.

L’habit ne faisant pas le moine, les deux humanoïdes devant elle pouvaient très bien être des flibustiers déguisés. Méfiante, des grandes ailes de feu se déployèrent depuis le dos de la jeune femme, prête à mettre les voiles au premier signe d’agression.

Compter les jours pour ne pas se perdre. Compter sur les Astres, la lune et le soleil pour gérer sa fatigue, son appétit et son sommeil.

Tous les outils étaient bons à prendre pour survivre.

Séraphin revient de très loin, mais il est revenu. Il ne cessera de me surprendre sur sa résistance. Qu'elle soit physique ou mentale, il garde le cap en dépit de tout ce qui peut lui tomber sur le pif. Très peu de gens peuvent faire ce qu'il fait, c'est indiscutable. La bouffe se résume à des mouettes, du poisson quand on arrive à en attraper, des fruits, des baies qu'on doit vérifier à moulte reprises pour savoir si ce n'est pas empoisonné. Même si le physique est malmené, le mental n'a pas bougé d'un iota. Nous sommes deux Limiers qui ont été conditionnés au Razkaal, subissant des dizaines de conditions difficiles pour l'homme moyen. Soit pour se taire devant l'ennemi quoi qu'il arrive, soit pour tenir bon quand les conditions ne sont plus au rendez-vous.

Mon esprit se renforce sur ses mots, tandis que j'avise une énième fois l'horizon, m'assurant que le bûcher tienne bon. Des brouettes entières de bois ont été consumées dans ce feu de détresse en espérant que quelqu'un nous repère. Abîmer l'écosystème, la nature, l'environnement, et ce n'est pas contre ma volonté. Je serais hypocrite à l'idée de dire que je n'étais pas prêt à tout pour nous sortir de là. Heureusement, l'île est suffisamment isolée pour avoir le temps de se reconstruire sur ses cicatrices, et suffisamment dense pour être un lieu pour les espèces grouillantes dans les environs.

Et en parlant d'espèce dans les environs... Quelque chose trace une traînée de flammes, ma bouche s'ouvre à moitié, le regard interdit. Une créature de légende faite de flammes éternelles. Ses plumes brillent d'une lueur dorée, irradiant une chaleur réconfortante même à cette distance. À chaque battement d'ailes, des étincelles jaillissent, peignant une traînée d'or dans le firmament. La chaleur me caresse la peau comme si c'était un deuxième soleil. Un soleil qui change de forme pour s'étirer sous la silhouette d'une Elfe dont il est impossible de situer l'âge, particularité propre à cette race. Mes yeux se plissent par sa lumière incandescente, avant qu'une voix vibre dans mes oreilles dans un écho qui sonne peut-être le glas de notre exil.

Séraphin sera le premier à baver les réponses, en bon chef de Meute. Je me contenterais d'acquiescer par l'affirmative à toutes les informations transmises à la Sergent de la Marine. Partageant le même regard auprès de mon ami, j'avance également d'un pas.

« Ravi de voir quelqu'un de la maison. Le Razkaal nous attend. »

La respiration irrégulière, les cheveux abîmés par le sel et le sable, l'uniforme ressemblant plus qu'à un tas de haillons avec des pièces cassées d'armure, j'étais le Drakyn le plus pathétique du monde ce jour-là.

Mais, ça va changer.

L’histoire des deux limiers sonnait juste même si l’oiseau était méfiant et Vandaos n’avait pas eu besoin d’insister sur l’importance de cet état devant des inconnus et encore plus des humanoïdes. Même si peu à peu le phénix apprenait à faire la part des choses, elle avait un ressentiment plus que marqué avec tous les humanoïdes, voyant un potentiel Mage Noir souhaitant l’emprisonner en chacun d’eux. L’ironie du sort fût que ce soit en un autre Mage Noir qu’elle retrouva –en partie- foi en l’humanité. Bien sûr Tinder jouerait le jeu des “Robinsons” mais elle savait pertinemment que l’Amiral Fallenswords ne dévierait pas le cap d’un degré sans avoir fait vérifier l’identité des deux protagonistes. Et s’ils mentaient, les deux amis en haillons risquaient de vivre encore d’amour et d’eau fraîche pendant un long moment : le Contre-Amiral ne plaisantait pas avec tout ce qui touchait au patriotisme et usurper l’identité d’un officier républicain c’était clairement l’équivalent de brûler son ticket de retour à la maison.

Et bien la chance est avec vous, officiers. Une flottille de la Marine fait route pour Courage à quelques milles d’ici, l’Amiral prendra les dispositions pour votre sauvetage. Je m’en vais le prévenir et si les vents nous sont favorables, un bateau devrait arriver d’ici quelques heures pour venir vous chercher.

Puis la jeune elfe s’envola, emportant avec elle tous les espoirs des deux malheureux restés sur la plage. Calculant mentalement la position de la flottille au début de son vol, le Lieutenant Firebirds retrouva les bateaux républicains au bout de quelques heures, ce qui l’avait d’ailleurs obligé à se re-métamorphoser en sa forme originelle. En quelques battements d'ailes, elle arriva à destination et se posa sur son perchoir conçu spécialement pour elle sur le vaisseau familial des Fallenswords, la Dame Blanche. C était une Corvette conçue pour faire des trajets pas trop long et qui avait pour principale qualité son aptitude à semer ses possibles assaillants. Bien sûr il y avait quelques balistes, celles dont avait la charge le Second Lieutenant Firebirds mais une fois q' ils récupéreraient leur nouveau Navire Amiral à Courage,  elle aurait la responsabilité d’une véritable batterie de canons.

C’est l’Enseigne Carragher qui se présenta auprès de l Oiseau élémentaire. Tinder aurait préféré que l'Amiral en personne vienne à sa rencontre mais il devait certainement étudier un vieux grimoire d'un autre nécromancien d’un autre âge. L''aspirant officier collecta les informations et se présenta ensuite devant la cabine du Contre-Amiral, qui n'était pas forcément très aimable lorsqu’on le dérangeait dans son étude. L’Enseigne prit une grande inspiration avant de frapper trois coups à la porte du commandant en chef de la Paradize Fleet.

Carragher au rapport Amiral.

Entrez Lieutenant et faites votre rapport , dit machinalement Vandaos avec un ton froid et détaché.

Deux limiers ont été retrouvé sur une île à quelques miles d’ici. Le prévôt Séraphin et le limier Kieran, dois-je demander au Lieutenant télépathe de vérifier leur identité.  

Non.

Devant l'incompréhension qui se lisait sur le visage de l'Enseigne, l'Amiral s’ expliqua. Certes son statut lui aurait permis de ne pas aller plus loin mais Carragher avait été promu à sa demande et il se sentait obliger de justifier ses écarts au règlement, si cher aux officiers de la Marine qui avaient un peu d’ambition. En tout cas, pour le Contre-Amiral Fallenswords, aucun avancement s'effectuait sans un respect scrupuleux des règles : c'était une des bases du management apprit durant ses années d’étude à Drakstrang.

Séraphin est un vieil ami. Si quelqu’un ose s'approprier son identité, j'aimerais le questionner moi-même. Mais effectivement transmettez aux commandants de la flottille que je pars chercher nos deux limiers à bord de la Dame Blanche. Le commandant Vingerton prendra le commandement le temps de notre absence, transmettez lui l’ordre de maintenir le cap. Transmettez également l'ordre au Capitaine Sinferd de faire route vers l'île de nos deux naufragés à pleine cadence, le Lieutenant Firebirds lui donnera le cap à suivre.

Séraphin… Qu’est ce qui t’a poussé à venir t’échouer si loin du Razkaal ?

Vandaos Fallenswords fit signe à son subalterne qu’il en avait fini. L’Enseigne Carragher parti avec l’empressement des jeunes gens zélés. C’était un bon petit et l’Amiral continuerait de le former pour en faire un officier de la Marine et surtout, un homme supplémentaire qui l’accompagnerait jusqu’en enfer s’il lui en donnait l’ordre.


Terre en vue !

A ce signal, Vandaos sortit de sa cabine pour rejoindre le Capitaine Sinferd qui se trouvait aux côtés du Quartier-Maître Deentab, en charge de la barre. Le Capitaine se tenait aux gardes à vous tandis que le marin restait concentrer sur l’outil de navigation de la Dame Blanche, sa fonction exigeant toute sa concentration.

Repos Capitaine. Maintenez le cap mais baissez l’allure, il serait fâcheux de devoir demander au reste de la flottille de venir nous sortir d’un banc de sable sous les yeux des limiers du razkaal ? Lorsque la vigie nous avertira que les fonds seront visibles, faîtes descendre une chaloupe, je monterais à bord : j’aimerais accueillir personnellement nos deux rescapés.


Les 6 matelots tenant les rames avaient réussi à mener l’embarcation au plus proche de la plage et les deux limiers s’étaient empressés de les rejoindre, trop content de voir leurs sauveurs. Les marins aidèrent les deux gaillards à se hisser sur la chaloupe : ils s’y mirent à 4 pour aider le drakyn et avaient bien failli faire chavirer la chaloupe. Puis Séraphin embarqua également, aider par les deux autres matelots. Tout sourire de voir son ami d’enfance -même s’il était dans un état lamentable- Vandaos interpella le prévôt avec un petit sourire aux coins des lèvres.

Séraphin ! Mais que diable fais-tu sur cette île déserte ? Une chance que mon oiseau vous a repéré et que nous passions par là. On va vous ramener à la maison et nous aurons tout le trajet jusqu’à Courage pour que vous me racontiez vos mésaventures...

Puis il se pencha en direction de l’imposant Drakyn, maintenant son petit sourire.

Oh mais je ne me suis pas présenté et manque à tous mes devoirs, Contre-Amiral Vandaos Fallenswords. Nous vous amenons à bord de la Dame Blanche, vous pourrez vous restaurer et vous changer une fois que nous y serons.